Une analyse de l’Associated Press montre que le nombre d’entreprises « zombies » cotées en Bourse – celles qui sont tellement endettées qu’elles peinent à payer ne serait-ce que les intérêts de leurs emprunts – a grimpé à près de 7000 dans le monde, dont 2000 aux États-Unis.

Et nombre d’entre elles pourraient bientôt être confrontées au jour du bilan, avec des échéances imminentes pour des centaines de milliards de dollars de prêts qu’elles pourraient ne pas être en mesure de rembourser.

« Elles vont se faire écraser », a déclaré Robert Spivey, directeur général de Valens Securities, à propos des zombies les plus faibles. Décryptage.

Qu’est-ce qu’une entreprise zombie ?

Les entreprises zombies sont généralement définies comme des sociétés qui n’ont pas réussi à tirer suffisamment d’argent de leurs activités au cours des trois dernières années pour payer ne serait-ce que les intérêts sur leurs emprunts. Leur nombre a augmenté parce que les faibles taux d’intérêt des dernières années ont permis aux entreprises d’accumuler de nombreuses dettes bon marché, avant d’être frappées par une inflation tenace qui a fait grimper les coûts d’emprunt à des niveaux inégalés depuis dix ans.

L’analyse de l’Associated Press (AP) révèle que leur nombre brut a augmenté d’un tiers ou plus au cours de la dernière décennie en Australie, au Canada, au Japon, en Corée du Sud, au Royaume-Uni et aux États-Unis.

De nombreuses entreprises zombies ne disposent pas de réserves de trésorerie importantes et les intérêts qu’elles paient sur bon nombre de leurs prêts sont variables, et non fixes, de sorte que la hausse des taux leur est préjudiciable en ce moment.

En quoi est-ce inquiétant pour l’économie ?

Le nombre de zombies a augmenté, tout comme les dommages potentiels s’ils sont contraints de déposer le bilan ou de fermer définitivement leurs portes. Les entreprises analysées par l’Associated Press emploient au moins 130 millions de personnes dans une douzaine de pays.

Le nombre de faillites d’entreprises américaines a déjà atteint son plus haut niveau depuis 14 ans, une hausse attendue en période de récession et non d’expansion.

Au Canada, au Royaume-Uni, en France et en Espagne, les faillites d’entreprises ont également atteint récemment des sommets de près d’une décennie, voire plus.

Au cours des premiers mois de l’année, des centaines de zombies ont refinancé leurs prêts, les prêteurs ayant ouvert leurs portefeuilles dans l’attente d’une réduction des taux d’intérêt par la Réserve fédérale en mars. Cet argent frais a permis aux actions de plus de 1000 zombies analysés par l’AP d’augmenter de 20 % ou plus au cours des six derniers mois.

Mais beaucoup n’ont pas pu ou su se refinancer, et le temps presse.

Tout au long de l’été et jusqu’en septembre, lorsque de nombreux investisseurs s’attendent désormais à la première et unique baisse des taux d’intérêt de la Fed cette année, les zombies devront rembourser 1100 milliards de dollars de prêts, selon l’analyse d’AP, soit les deux tiers du total dû d’ici à la fin de l’année.

Certains experts estiment que les zombies pourraient éviter les licenciements, la vente d’unités commerciales ou l’effondrement si les banques centrales réduisaient rapidement les taux d’intérêt, bien que les défauts de paiement et les faillites éparses puissent encore peser sur l’économie.

Pour sa part, Wall Street ne panique pas. Les investisseurs ont acheté des actions de certains zombies et leurs obligations de pacotille (appelées junk bonds en anglais), c’est-à-dire les prêts que les agences de notation considèrent comme les plus exposés au risque de défaillance.

Si cela peut aider les zombies à se procurer des liquidités à court terme, les investisseurs qui injectent de l’argent dans ces titres et font grimper leur prix risquent de subir de lourdes pertes.

« Si les taux restent à ce niveau dans un avenir proche, nous verrons davantage de faillites », a déclaré George Cipolloni, gestionnaire de fonds chez Penn Mutual Asset Management. « À un moment donné, l’argent arrive à échéance et ils ne l’auront plus. C’est la fin de la partie. »

Comment les rachats d’actions nuisent aux zombies

Les agences de notation et les économistes ont mis en garde contre les dangers de l’endettement des entreprises pendant des années, au fur et à mesure que les taux d’intérêt baissaient. Mais les banques centrales du monde entier ont donné un coup de fouet en réduisant les taux de référence à près de zéro, lors de la crise financière de 2008-2009, puis à nouveau lors de la pandémie de 2020-2021.

Il s’agissait d’une expérience gigantesque et sans précédent visant à déclencher une frénésie d’emprunts qui permettrait d’éviter une dépression mondiale. Elle a également créé ce que certains économistes ont appelé une bulle de crédit qui s’est propagée bien au-delà des zombies, avec des taux bas qui ont également incité les gouvernements, les consommateurs et les entreprises plus grandes et en meilleure santé à emprunter massivement.

Ce qui distingue de nombreux zombies, c’est que leur dette n’est pas utilisée pour se développer, embaucher ou investir dans la technologie, mais pour racheter leurs propres actions, par exemple.

Ces rachats permettent aux entreprises de « retirer » des actions du marché, afin de compenser les nouvelles actions créées pour les cadres supérieurs en vue d’augmenter leur rémunération. Mais un trop grand nombre de rachats d’actions peut épuiser les liquidités d’une entreprise.

C’est ce qui s’est passé lors de la faillite de Bed Bath & Beyond. La chaîne qui exploitait 1500 magasins a lutté pendant des années, mais ses emprunts importants et sa décision de dépenser 7 milliards de dollars en dix ans pour des rachats d’actions ont joué un rôle clé dans sa chute. Selon la société de données Equilar, la rémunération de trois cadres supérieurs a dépassé 140 millions, alors même que l’action de la société est passée de 80 $ à zéro. Des dizaines de milliers de travailleurs aux États-Unis ont perdu leur emploi, alors que la chaîne s’enfonçait dans la spirale de la faillite.