Deuxième banque en importance au Canada et sixième en Amérique du Nord selon l’actif, la Banque Toronto-Dominion (TD) est aux prises avec des enquêtes et de graves allégations de blanchiment d’argent dans ses succursales aux États-Unis. Si elles s’avèrent, ces allégations pourraient lui valoir des sanctions colossales, potentiellement jusqu’à 4 milliards de dollars, en plus de dommages considérables à sa réputation.

Quelles enquêtes ? Quelles allégations ?

Depuis plusieurs mois, la banque Toronto-Dominion (TD) fait l’objet d’enquêtes menées par les départements américains de la Justice et du Trésor, ainsi que par les régulateurs bancaires au niveau fédéral et dans quelques États pour des transactions illicites de blanchiment d’argent qui seraient survenues dans quelques-unes de ses nombreuses succursales aux États-Unis.

Entre autres, un ex-employé d’une succursale de la TD en Floride aurait encaissé une série de pots-de-vin de 200 $ US pour aider des clients à transférer des millions de dollars vers la Colombie en contournant les mécanismes contre le blanchiment d’argent.

Par ailleurs, au New Jersey, les instances judiciaires ont fait part jusqu’à maintenant de quatre dossiers d’enquête sur des « fautes graves » de la part d’employés de succursales de la TD situées dans les États de New York, du New Jersey et de la Floride.

Dans l’un de ces cas, selon le Wall Street Journal, des succursales de la TD aux États-Unis auraient pu être utilisées pour blanchir de l’argent provenant du trafic de stupéfiants avec des transactions illicites totalisant quelque 650 millions US.

Et au Canada ?

La Banque TD est également dans la ligne de mire des gendarmes bancaires au Canada. En mai, le quotidien torontois The Globe and Mail rapportait que des organismes de réglementation bancaire avaient ordonné à la TD de remédier à ses lacunes en matière de contrôle des risques de transactions de fonds illicites.

Entre autres, lors d’une récente évaluation, le Bureau fédéral du surintendant des institutions financières (BSIF) aurait identifié des lacunes dans le programme de gestion de la conformité réglementaire de la Banque TD en matière de lutte contre le blanchiment d’argent.

Quelques semaines auparavant, l’organisme canadien de surveillance des crimes financiers, le Centre d’analyse des opérations et déclarations financières (CANAFE), avait imposé à la Banque TD des sanctions totalisant près de 9,2 millions, le montant le plus élevé à ce jour de la part du CANAFE.

La TD a été sanctionnée après qu’un examen de conformité mené par l’organisme a révélé des « défectuosités » dans ses mesures pour contrôler et contrer les transactions illicites de blanchiment d’argent.

Par ailleurs, il faut savoir que ces allégations de malversations bancaires chez la TD aux États-Unis et au Canada ont été révélées après que la banque a déclaré le 30 avril dernier qu’elle mettait de côté une provision initiale de 450 millions CAN pour faire face à des « amendes réglementaires » attendues aux États-Unis.

Des sanctions milliardaires ? Vraiment ?

Les estimations de coûts des sanctions et des amendes auxquelles serait exposée la TD aux États-Unis se sont multipliées parmi les analystes bancaires et boursiers ces dernières semaines, au fil des allégations de blanchiment d’argent.

Les premières estimations d’il y a deux mois variaient entre 600 millions et 1 milliard de dollars américains.

Ensuite, des analystes du secteur bancaire de firmes comme ScotiaBank Global Markets, à Toronto, et la Financière Banque Nationale, à Montréal, ont rehaussé leurs estimations aux environs de 2 milliards US.

Chez RBC Marchés des capitaux, une division de la Banque Royale, l’analyste bancaire Darko Mihelic est allé plus loin avec un « mauvais scénario » pour la TD qui pourrait aboutir à des sanctions approchant les 3 milliards US, en plus d’un plafonnement des actifs dans ses activités américaines pendant cinq ans.

La semaine dernière, les analystes bancaires du groupe Jefferies Financial, basé à New York, ont attiré l’attention des médias financiers avec leur nouvelle estimation de l’ordre de 4 milliards US pour le montant total des sanctions possibles contre la TD aux États-Unis.

Si de telles sanctions devaient se confirmer, ont aussi averti les analystes de Jefferies Financial, cela pourrait « potentiellement éroder tout le capital excédentaire actuel » dans le bilan financier de la Banque TD.

D’ailleurs, l’agence de notation financière Fitch a annoncé cette semaine avoir abaissé sa perspective sur la Banque TD « de stable à négative » en raison des retombées potentielles des lacunes de la banque en matière de lutte contre le blanchiment d’argent.

Qu’en pensent les actionnaires ?

Bien que le président et chef de la direction de la TD, Bharat Masrani, ait qualifié d’« inacceptable » la situation de la banque aux États-Unis, et souhaité en venir à une résolution « le plus tôt possible » avec les autorités américaines, ces enquêtes et ces allégations de blanchiment d’argent ont eu des échos très négatifs en Bourse pour les actionnaires de la banque.

C’est aussi ce qui a incité quelques-uns d’entre eux à s’allier pour inscrire ces jours-ci une requête en action collective contre la Banque TD en Cour supérieure de l’Ontario.

La requête pilotée par la firme torontoise d’avocats Sotos LLP a été inscrite au nom des investisseurs qui ont acheté des actions de la TD entre le 26 août 2021 et le 3 juin 2024.

La requête allègue que la banque aurait présenté une image faussée des lacunes systématiques de ses contrôles anti-blanchiment d’argent, et que ces lacunes pourraient affecter gravement ses importantes activités bancaires aux États-Unis.

La requête en action collective allègue aussi qu’à la suite de la première divulgation de ces lacunes par la banque le 30 avril dernier, ainsi que les autres « divulgations importantes » dans des médias financiers comme le Wall Street Journal et Bloomberg News, « le cours des actions de la banque a chuté considérablement, ce qui donne lieu à des mesures réparatrices » envers les actionnaires de la Banque TD.

La Banque Toronto Dominion (TD) en chiffres

  • Siège social : Toronto
  • Revenus d’affaires annualisés (au 29 avril) : 45,05 milliards (+1,5 % sur un an)
  • Bénéfice net annualisé (au 29 avril) : 10,6 milliards (-22 %)
  • Actif total (au 29 avril) : 1966 milliards (+2 %)
  • Effectif (au 31 oct. 2023) : 103 257 employés (éq. t. plein)
  • Capitalisation boursière (au 7 juin) : 135,5 milliards
  • Valeur de l’action en Bourse (au 7 juin) : 76,45 $ (-10 % jusqu’ici en 2024)

Les valeurs sont exprimées en dollars canadiens.

Sources : Refinitiv, Bourse de Toronto, Banque TD