L’industrie de la construction est prête à s’attaquer à son problème de déchets, croit Recyc-Québec, qui a présenté mercredi des pistes de solution élaborées avec les acteurs du secteur, qui génère 32 % de tout ce que le Québec envoie à l’enfouissement.

« On constate que le fruit est mûr », a déclaré la présidente-directrice générale de la Société québécoise de récupération et de recyclage (Recyc-Québec), Emmanuelle Géhin, dans une rencontre avec une poignée de journalistes.

« Il y a une prise de conscience de l’industrie, actuellement, qui, tous les jours, sur les chantiers, se rend compte de la quantité de déchets [qu’elle] envoie à l’enfouissement », dit-elle.

La quantité de résidus générée par le secteur dit de la construction, rénovation et démolition (CRD) est en hausse depuis que ces données sont compilées spécifiquement, en 2015 ; et la proportion de ce qui est récupéré régresse.

Des 3,5 millions de tonnes de résidus générés en 2021, 47 % ont pris directement le chemin de sites d’enfouissement, montrent les plus récentes données disponibles.

Les 53 % restants ont été acheminés vers un centre de tri, mais seulement 261 000 tonnes ont fini au recyclage, l’essentiel ayant été réacheminé à l’enfouissement ou à la valorisation énergétique.

Ce sont donc seulement 7,5 % des résidus de construction qui ont été recyclés.

« C’est un non-sens d’envoyer des matières à l’enfouissement alors qu’elles pourraient être réutilisées », estime Mme Géhin.

Documenter, agir en amont et outiller

Un comité d’experts provenant de l’industrie de la construction, de celle de la récupération et du recyclage ainsi que des milieux municipaux et syndicaux s’est penché sur la question avec Recyc-Québec, à la demande du ministre de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs, Benoit Charette, et a accouché de neuf recommandations.

La moitié visent à « documenter la chaîne de valeur » des résidus : cibler les débouchés possibles dans chaque région ; réaliser une étude des impacts de nouveaux modes de gestion, comme le prétri des matières ; évaluer les options pour augmenter la quantité de résidus détournés de l’enfouissement, comme les incitatifs fiscaux ; et comparer les coûts et les impacts de différentes approches.

Le comité appelle aussi à « agir en amont », en incluant dans les appels d’offres et les permis des clauses forçant à détourner de l’enfouissement une plus grande proportion de résidus, et à « outiller les acteurs pour faciliter le passage à l’action », en offrant de la formation et de l’aide financière.

Toutes ces recommandations devraient être mises en place au cours des deux prochaines années, prévoit Recyc-Québec.

Impérative réglementation

Le comité d’experts avait évoqué dès ses premières rencontres des solutions réglementaires, comme l’imposition de redevances supplémentaires pour l’enfouissement de résidus envoyés directement à l’enfouissement, sans passer par un centre de tri.

« Le principal élément qui vient miner la récupération et le recyclage des résidus de CRD, c’est le tarif d’enfouissement », qui est inférieur aux coûts des autres solutions, explique Francis Vermette, vice-président des opérations et du développement à Recyc-Québec.

« Ça vient beaucoup limiter les possibilités de mettre en œuvre la récupération et le recyclage à grande échelle », dit-il.

Certains obstacles freinant le recyclage de certaines matières pourraient aussi être contrés par une modification de la réglementation actuelle, ajoute M. Vermette, donnant l’exemple de l’utilisation de bardeaux d’asphalte dans l’asphaltage de routes, qui se heurte pour l’instant à des obstacles… réglementaires.

« Le Ministère est en train de réfléchir, [il] a pris acte et travaille là-dessus », affirme Emmanuelle Géhin, soulignant que Recyc-Québec n’a pas de pouvoir de réglementation.

Le cabinet du ministre Charette n’a pas répondu aux questions de La Presse à ce sujet, mercredi.

« Positif », mais « tard »

Ces pistes d’action sont vues d’un bon œil par des observateurs des enjeux liés aux déchets, qui jugent toutefois qu’elles arrivent très tardivement.

« C’est choquant de constater qu’en 2024, on n’a pas un portrait complet des matières du secteur de la CRD, alors que c’est le principal générateur de déchets », s’étonne Amélie Côté, analyste en réduction à la source chez Équiterre.

Elle salue « l’échéancier à court terme » des mesures proposées, et appelle à faire une place importante à la déconstruction et au réemploi des matériaux.

« Les modifications réglementaires vont être essentielles au succès de toutes ces mesures », sans quoi les entreprises les plus engagées auront à assumer des coûts supplémentaires, prévient Mme Côté.

Cet exercice « aurait dû être fait il y a très longtemps », croit également Karel Ménard, directeur général du Front commun québécois pour une gestion écologique des déchets.

« Les solutions pour la CRD sont connues depuis longtemps, c’est le parent pauvre de la gestion des matières résiduelles », dit-il, blâmant le peu de réglementation, d’infrastructures, d’incitatifs fiscaux et l’absence d’obligations.

Certaines mesures proposées ne sont pas nouvelles, ajoute M. Ménard, rappelant que le Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE) appelait au terme de sa commission d’enquête sur les « résidus ultimes » à traiter le problème en amont, il y a déjà plus de deux ans.

1. Lisez « Le recyclage ne suffit plus, dit le BAPE »
En savoir plus
  • 716 kg
    Quantité annuelle de déchets enfouis ou incinérés par habitant, au Québec (2021)
    Source : Société québécoise de récupération et de recyclage (Recyc-Québec)
    525 kg
    Quantité annuelle de déchets enfouis ou incinérés visée pour 2024, au Québec
    Source : Société québécoise de récupération et de recyclage (Recyc-Québec)
  • 232 kg
    Quantité annuelle de déchets provenant du secteur de la construction par habitant (2021)
    Source : Société québécoise de récupération et de recyclage (Recyc-Québec)