Pour les marchés financiers, la cause est entendue, la probabilité d’une première baisse du taux directeur de la Banque du Canada ce mercredi est de plus de 80 %. Par ailleurs, les économistes qui suivent de près la politique monétaire sont de plus en plus nombreux à pencher vers une première baisse du taux directeur de 5 % à 4,75 % ce mercredi, plutôt qu’à la prochaine décision prévue le 24 juillet.

Que fera la Banque du Canada ?

« Il n’y a pas d’avantage à attendre six semaines de plus », dit Dominique Lapointe, directeur de la stratégie macroéconomique de Manuvie.

« D’ici le mois de juillet, le risque d’une remontée de l’inflation est assez faible, estime-t-il. De même, il y a peu de chances que la croissance économique réaccélère dans les six prochaines semaines. »

Au final, c’est une question de jugement, dit Jimmy Jean, économiste en chef de Desjardins. « Les dirigeants de la banque centrale ont toutes les données imaginables pour prendre une décision. Ultimement, ça revient au poids qu’on accorde aux différentes données parce que l’information parfaite, on ne l’a jamais. »

Comme Dominique Lapointe, Jimmy Jean s’attend à une baisse du taux directeur ce mercredi, la première depuis mars 2020, quand la pandémie a paralysé l’économie. Le taux directeur de la Banque du Canada est à 5 %, son niveau le plus élevé en 20 ans, depuis juillet 2023.

Le gouverneur de la Banque du Canada, Tiff Macklem, a déjà dit que tout était en place pour une baisse prochaine du taux directeur mais que quelques mois seraient nécessaires pour s’assurer que l’inflation est bel et bien jugulée.

Attendre à juillet pourrait augmenter le degré de confiance de la Banque du Canada dans les tendances positives qui se dessinent depuis plusieurs mois déjà, croit Matthieu Arseneau, économiste de la Banque Nationale. « D’ici le 25 juillet (date de la prochaine décision sur les taux), il y aura deux autres rapports sur l’inflation, et deux sur l’emploi et de nouvelles données sur l’évolution de l’économie », dit-il.

La Financière Banque Nationale s’attend à ce que la Banque du Canada maintienne son taux directeur à 5 % ce mercredi, même si « tout est là pour justifier une baisse », estime l’économiste.

La banque centrale veut éviter à tout prix d’avoir à faire volte-face après avoir baissé son taux directeur, parce que l’inflation réapparaît. Mais attendre augmente aussi le risque que l’économie tombe en récession et exige des baisses de taux d’urgence, ce qui serait le pire scénario, résument les économistes interrogés par La Presse.

Il y a des arguments des deux côtés de l’équation :

Une baisse ce mercredi

Faiblesse de l’économie

L’économie canadienne est au bord de la récession, ce qui augmente la pression sur la banque centrale pour ne pas attendre avant de baisser son taux directeur. Au premier trimestre de 2024, le produit intérieur brut a progressé au taux annualisé de 1,7 %, alors qu’une hausse de 2,2 % était attendue. Pire encore, la croissance du PIB du dernier trimestre de 2023 a été révisée à la baisse de 1,0 % à 0,1 %, malgré une augmentation importante de la population qui soutient l’économie.

Recul de l’inflation

Le niveau d’inflation mesuré par l’Indice des prix à la consommation est revenu à l’intérieur de la cible de 1 à 3 % de la Banque du Canada. La plus récente lecture de l’IPC, celle d’avril, pointait à 2,7 %. Les prix du logement restent en forte hausse, mais en excluant le coût de l’intérêt hypothécaire, qui serait soulagé par une baisse des taux d’intérêt, le taux global d’inflation est descendu sous les 2 %. Toutes les mesures de l’inflation de base que surveille la banque centrale ont aussi reculé sous le seuil de 3 %.

Chômage en hausse

Le nombre de postes vacants est en nette diminution. L’augmentation de la population contribue aussi à refroidir le marché du travail. La hausse du taux de chômage commence aussi à avoir un impact sur les salaires, dont l’augmentation inquiétait la Banque du Canada et qui a ralenti. Les chiffres du mois de mai seront publiés vendredi par Statistique Canada, soit après la décision sur le taux de mercredi. La plupart des économistes prévoient que le marché de l’emploi continuera de se détériorer.

Une baisse en juillet

Signaler d’abord la baisse

La Banque du Canada a l’habitude de télégraphier ses intentions à l’avance, pour ne pas surprendre les marchés. C’est ce qu’elle avait fait en 2022, avant d’augmenter son taux directeur qui était alors au plancher. Le taux d’inflation avait continué d’augmenter jusqu’à sa prochaine décision, et beaucoup d’observateurs en ont conclu qu’elle avait trop tardé avant d’amorcer le resserrement monétaire. Cette fois, la banque centrale pourrait se contenter d’indiquer clairement mercredi qu’elle baissera les taux à sa prochaine décision, en juillet.

Le prix des maisons

Le printemps est une saison généralement très active sur le marché immobilier. Une baisse du taux directeur en juin, même de seulement 25 points de base, pourrait suffire à emballer un marché réprimé par les taux d’intérêt élevés et qui n’attend qu’un signal pour reprendre vie. Le prix des maisons pourrait augmenter rapidement et alimenter l’inflation liée au logement, ce qui peut inciter la Banque du Canada à attendre encore pour amorcer la baisse des taux.

Le frein de la Réserve fédérale

Le fait que la baisse des taux d’intérêt aux États-Unis s’éloigne dans le temps est un autre facteur qui incite la Banque du Canada à prendre son temps. L’économie canadienne peut vivre avec des taux d’intérêt moins élevés qu’aux États-Unis, mais le risque d’une chute du dollar qui ferait augmenter le prix de tous les produits importés et qui ranimerait l’inflation est un frein à la baisse des taux au Canada. Si la Réserve fédérale avait déjà baissé son taux directeur, la Banque du Canada l’aurait probablement déjà fait, estiment plusieurs économistes.