Les producteurs locaux estiment livrer un combat de prix déloyal contre les produits de la Californie

On joue du coude au rayon des fraises. Alors que la Californie envahit les étals en offrant son produit à un prix dérisoire, tout juste à côté, le célèbre fruit rouge qui pousse en serre au Québec – et depuis quelques jours, dans les champs – coûte beaucoup plus cher. De l’aveu même des producteurs d’ici, il est difficile dans ce contexte de livrer un combat à armes égales.

L’Association des producteurs de fraises et de framboises du Québec lançait officiellement sa saison vendredi dernier. Or, quelques nuages assombrissaient la journée ensoleillée de ceux qui cultivent le populaire fruit rouge dans leurs champs.

Les fraises de la Californie et du Mexique prennent encore beaucoup de place dans les épiceries, reconnaissent plusieurs représentants de l’industrie. Et s’il vendait ses fraises au prix des Américains, il « ne pourrai[t] même pas payer celui qui les ramasse », illustre Louis Bélisle, producteur à la ferme A. Bélisle & Fils, située à Saint-Eustache.

Des fraises affichées à 2,99 $ (1,77 $ pour les membres Scène+) pour 454 grammes (1 litre ou 1000 ml) contre des fraises de serre Savoura à 6,99 $ pour 541 ml, ou encore un panier fraîchement cueilli à la ferme A. Bélisle & Fils coûtant 7,99 $ pour 1 litre ou 1000 ml. Voilà ce qui était offert aux consommateurs qui se rendaient chez IGA la semaine dernière.

Cette semaine, les fraises mexicaines et américaines (1000 ml) sont offertes à 3,99 $ alors que l’aiguille de prix du fruit rouge québécois n’a pas bougé. Même situation dans les autres enseignes.

PHOTO JOSIE DESMARAIS, LA PRESSE

Dans les rayons, les fraises du Québec ne sont pas de taille devant celles de la Californie qui inondent le marché à une fraction du prix.

Vendredi, le magasin Metro visité par La Presse offrait à ses clients des fraises mexicaines et américaines en promotion à 3,99 $ (1000 ml). Le panier québécois coûtait 6,99 $ (750 ml). Les fraises de serre d’ici de marque Frissonnante étaient affichées à 5,99 $ (541 ml).

« Ça nous a rentré dedans directement », avoue la PDG de Savoura, Peggie Clermont, qui n’en croyait pas ses yeux lorsqu’elle a vu les chiffres rentrer en mai. 

Son entreprise livre des fraises de serre en épicerie 10 mois par année. « Les commandes avaient drastiquement chuté. On est allés dans les chaînes. On a vu les prix et les promotions. On a compris ce qui se passait. »

« L’arrivée massive » des fraises californiennes a eu un effet direct sur les ventes et la consommation des fraises Savoura, a-t-elle constaté.

« C’est vrai que ça vient nous compétitionner », concède Stéphanie Forcier, directrice générale par intérim de l’association qui représente les producteurs de fraises.

Plusieurs d’entre eux ne lui ont pas caché leur inquiétude, raconte-t-elle. « Notre saison commence plus tôt et se tailler une place avec des prix comme ceux-là, ce n’est pas facile. »

« Je trouve que c’est tard, fin mai, pour que la Californie rentre autant de fraises », ajoute pour sa part Alain Brisebois, président et chef de la direction de Ferme d’Hiver, dont l’entreprise cultive des fraises à l’intérieur grâce à une technique d’agriculture verticale. « Ça commence à être dangereux parce que le marché du local rentre. »

Pourquoi y a-t-il autant de fraises de la Californie dans les supermarchés ? « La Californie est en période de surproduction, répond Mme Forcier. Évidemment, les prix s’effondrent. Leur stratégie, c’est d’envoyer les fraises à bas prix le plus loin possible de chez eux pour stabiliser leur prix sur le marché intérieur. »

Il y a deux semaines, par exemple, selon les données de l’USDA (département américain de l’Agriculture), la Californie a expédié plus de 60 millions de livres de fraises à l’extérieur des États-Unis. Voilà pourquoi le produit prend autant de place sur le marché québécois.

Des prix difficiles à battre

« Les enseignes ici en profitent parce qu’elles sont capables d’avoir des prix intéressants », ajoute Louis Bélisle, qui a déjà commencé à livrer ses paniers dans les supermarchés de la grande région de Montréal.

Impossible, selon lui, pour les producteurs québécois de vendre leurs fruits au prix des Américains. « [En début de saison], quand ça prend deux heures et demie ramasser une boîte parce que les fraises sont moins abondantes et que ton gars te coûte presque 21 $ de l’heure, c’est sûr que tu ne peux pas les vendre à 2,99 $ ou à 3,99 $ », illustre-t-il.

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Des employés de la ferme A. Bélisle & Fils s’affairent dans un champ de fraises.

M. Bélisle précise que les travailleurs temporaires étrangers qui s’affairent aux champs reçoivent le salaire minimum fixé à 15,75 $ par Québec. Les producteurs qui les embauchent doivent également payer les coûts du logement et des voitures, si les travailleurs doivent se déplacer. Enfin, l’employeur paie également les frais d’accompagnement pour que les travailleurs entreprennent des démarches pour ouvrir un compte bancaire et obtenir un numéro d’assurance sociale. C’est pourquoi il calcule que ses employés lui coûtent environ 21 $-22 $ de l’heure.

Bientôt une diminution

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Louis Bélisle, producteur à la ferme A. Bélisle & Fils

Le producteur de Saint-Eustache tient malgré tout à se faire rassurant pour les consommateurs : le prix des fraises d’ici va diminuer au cours des prochaines semaines à mesure que les quantités de fraises prêtes pour la cueillette augmenteront. « C’est une question de temps. Les prix vont baisser. »

Stéphanie Forcier est du même avis. « Les expéditions de la Californie devraient aller en diminuant dans les prochaines semaines. Les fraises du Québec vont être de plus en plus présentes. »

D’ici là, dit-elle, les producteurs misent sur la fraîcheur et le goût pour convaincre les Québécois de mettre les fraises d’ici dans leur panier d’épicerie. Reste à voir si les papilles l’emporteront sur le portefeuille.

Avec la collaboration de Stéphanie Bérubé, La Presse