Hydro-Québec a décidé de reprendre le contrôle du développement éolien, confié jusqu’à maintenant aux promoteurs privés.

L’objectif est de développer des projets plus gros et à meilleur coût pour combler les besoins énergétiques urgents du Québec. « On ne peut plus développer des petits projets à droite à gauche comme on l’a fait », a expliqué le PDG d’Hydro-Québec, Michael Sabia, lors d’une rencontre de presse.

Il s’agit d’un virage majeur pour Hydro-Québec, qui laissera une place moins importante aux promoteurs éoliens privés. La société d’État fera encore des appels d’offres au secteur privé pour de plus petits projets, mais il pourrait y en avoir moins.

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Le PDG d’Hydro-Québec, Michael Sabia

Du côté des promoteurs privés, les réactions à ce virage sont modérées. « Nous, on voit ça positivement », a commenté Jean Trudel, chef de la direction financière d’Innergex. Même si Hydro-Québec se réserve les plus gros projets, « il va y avoir encore des projets plus petits, parce que les besoins sont tellement grands ». Hydro-Québec est un actionnaire minoritaire d’Innergex.

Boralex, qui a elle aussi grandi avec les appels d’offres éoliens d’Hydro-Québec, n’a pas voulu commenter la décision de la société d’État.

Maître d’œuvre et actionnaire

Hydro-Québec entend désormais planifier le développement éolien, s’entendre avec les municipalités et les communautés des Premières Nations et être le maître d’œuvre et un actionnaire des prochains projets.

L’Association québécoise de la production d’énergie renouvelable, qui représente les promoteurs privés, estime que le secteur privé aura encore un rôle à jouer dans les projets de 300 mégawatts et moins, ce qui est une bonne nouvelle. « Pour ce qui est du rôle du secteur privé dans les plus gros projets, on a besoin de plus de détails, a fait savoir Luis Cazaldo, le président de l’AQPER.

Les projets éoliens que se réserve Hydro-Québec seront plus gros, de l’ordre de 1000 mégawatts et plus, et seront vraisemblablement situés loin des zones habitées. Le coût de ces futurs approvisionnements éoliens devrait être plus bas pour Hydro-Québec, en comparaison du modèle actuel des appels d’offres, a indiqué Michael Sabia. Les économies d’échelle attendues sont de l’ordre de 20 % au moins, selon lui, ce qui réduira la pression sur les tarifs d’électricité.

Pouvoir proposer aux grands constructeurs d’équipement un gros volume d’affaires pour une longue période « ça vient avec la réduction des coûts », a fait valoir M. Sabia. Selon lui, « développer des projets à droite à gauche et all over the place », comme on l’a fait jusqu’à maintenant, « ce n’est pas quelque chose qui va nous livrer les 10 000 mégawatts dont nous avons besoin ».

L’objectif d’Hydro-Québec est d’aller plus vite, en devenant une « locomotive » pour l’éolien. La société d’État veut ajouter 10 000 mégawatts d’énergie éolienne en 10 ans, alors que le Québec a mis 20 ans pour en développer seulement 4000 mégawatts.

« Le statu quo ne va pas fonctionner pour l’avenir », selon Michael Sabia, qui dit avoir entendu la grogne des Québécois à propos du développement éolien déjà réalisé. Il estime qu’Hydro-Québec est mieux placée que les promoteurs privés pour obtenir l’acceptabilité sociale et la participation des communautés du développement futur.

Le dernier appel d’offres d’Hydro-Québec, qui concernait des régions habitées à proximité des lignes de transport existantes, a d’ailleurs suscité beaucoup d’opposition. Les délais fixés pour déposer les soumissions étaient courts et plusieurs collectivités se sont senties bousculées par des promoteurs pressés.

La prise en main du développement éolien par Hydro-Québec devrait non seulement favoriser l’acceptabilité sociale, selon Noël Fagoaga, chercheur à l’Institut de recherche en économie contemporaine, mais aussi permettre à Hydro-Québec d’économiser les profits versés aux producteurs privés. Une partie des économies que réalisera la société d’État vient du rendement de 10 % à 15 % que réalisent les producteurs privés sur les contrats d’approvisionnement éolien, note-t-il.

Quelques réactions

Le marché réagit bien

Les titres de Boralex et d’Innergex n’ont pas souffert jeudi de la décision d’Hydro-Québec de prendre le contrôle du développement éolien au Québec, gagnant respectivement 7 % et 8 % à Toronto. L’analyste Rupert Merer, de la Financière Banque Nationale, qui suit les deux entreprises, n’est pas inquiet non plus. Le marché potentiel des producteurs privés pourrait être réduit, a-t-il analysé, mais « nous restons convaincus que Boralex et Innergex pourraient réussir à obtenir des projets de taille moyenne dans la province et devraient également poursuivre leur croissance à l’extérieur de la province ».

Garder les profits

Les revenus générés pour l’État sont au nombre des avantages de la reprise du contrôle des projets éoliens par Hydro-Québec, selon la CSN. « Les profits de la société d’État iront en effet au gouvernement ou au développement du réseau, ce qui n’est pas le cas au privé », a commenté sa présidente, Caroline Senneville. La CSN estime que le fait qu’Hydro-Québec sera aux commandes du développement éolien pourrait faciliter l’achat d’équipement fabriqué au Québec en plus gros volume.

Un plus pour l’acceptabilité

L’Union des municipalités du Québec estime que la nouvelle approche du développement éolien favorisera l’acceptabilité sociale des projets. Elle donne aux municipalités l’assurance « d’être parties prenantes des discussions, des investissements et des prises de décisions », a réagi Martin Damphousse, président de l’UMQ et maire de Varennes. « Hydro-Québec vient reconnaître aujourd’hui le rôle incontournable des gouvernements de proximité dans l’atteinte des cibles de production d’énergie renouvelable et de décarbonation du Québec, a-t-il dit.

Une vision, un bémol

Équiterre salue la décision d’Hydro-Québec de devenir le partenaire principal des communautés locales pour développer des projets éoliens. Selon son porte-parole, Marc-André Viau, même si c’est la meilleure approche, « nous constatons que cette stratégie éolienne est axée sur le développement de la puissance énergétique, pour répondre à des besoins mal définis ».

Un prix à payer

La décision d’Hydro-Québec de se lancer elle-même dans la production éolienne risque de coûter très cher aux Québécois et Québécoises, réagit un chercheur de l’Institut économique de Montréal. « Hydro-Québec a annoncé aujourd’hui qu’elle accaparait un monopole sur le développement des parcs éoliens de plus de 1000 mégawatts », a dénoncé Gabriel Giguère, analyste en politiques publiques à l’IEDM. Selon lui, il faudrait faire le contraire. « Les Québécois et Québécoises paient très cher pour les erreurs de planification de la demande d’Hydro-Québec. Afin d’arrêter de refuser des projets de développements économiques, il faut laisser les producteurs indépendants jouer un plus grand rôle. »