ComediHa ! est en train de finaliser l’achat du Groupe Juste pour rire (JPR), insolvable depuis mars dernier, a appris La Presse. Cette transaction, qui devra obtenir l’aval des tribunaux, donnera des allures de monopole à ce groupe établi à Québec.

Selon nos informations, colligées auprès de plusieurs sources au fait du dossier, les autres finalistes qui convoitaient le spécialiste de l’humour ont été informés qu’ils n’étaient plus sur les rangs. Les détails de l’accord doivent être présentés au juge David R. Collier, de la Cour supérieure du Québec, lundi prochain. Le magistrat supervise la procédure en vertu de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies (LACC).

Joint par La Presse lundi, le contrôleur Christian Bourque, de la firme PwC, a expliqué qu’il ne pouvait offrir de détails sur le processus en cours.

« Avec ComediHa ! implanté à Québec et JPR à Montréal, on a deux grands pôles de l’humour qui seront regroupés, estime François Colbert, titulaire de la Chaire de gestion des arts de HEC Montréal. Ce n’est pas un monopole, mais ça va être dur de passer à côté. »

Les actionnaires actuels, Bell (26 %), le Groupe CH (25 %) et la firme américaine Creative Artists Agency (49 %), ne devraient plus être dans le portrait. Avec un propriétaire québécois, JPR devrait pouvoir continuer à bénéficier des crédits d’impôt du gouvernement du Québec – un précieux outil fiscal.

Un œil attentif

Par ailleurs, par l’entremise de la Société de développement des entreprises culturelles (SODEC), le gouvernement québécois garde un œil attentif sur le dossier. Québec a une entente de trois ans avec JPR qui vient à échéance à la fin de 2025 et qui prévoit le versement d’une somme annuelle de 1 million pour aider à la tenue de son festival. On est dans l’attente des intentions du nouveau propriétaire.

Comme l’entente découle d’un programme normé, les critères gouvernementaux devront être respectés pour que l’argent soit versé. La SODEC (2,5 millions) arrive au deuxième rang des créanciers garantis de JPR. L’organisme pourrait être sollicité dans la poursuite des activités de la nouvelle organisation.

Le gouvernement Legault ne prévoit pas d’aide spéciale pour ComediHa ! dans le cadre de l’achat de JPR. Si de nouveaux projets lui sont soumis, il pourrait aider en se tournant vers le Fonds du développement économique ou celui destiné au rayonnement de la métropole – des outils habituels.

Un bloc

Il n’a pas été possible de connaître le prix offert par ComediHa ! – qui compte Québecor comme actionnaire minoritaire – pour coiffer ses rivaux. JPR ne devrait pas être démantelé. M. Bourque a déjà indiqué que les prétendants souhaitaient acquérir le géant déchu de l’humour en un bloc.

Ainsi, les marques, les festivals, les tournées, de même que tout ce qui concerne la production télévisuelle, se retrouveront entre les mains de ComediHa !. Le groupe obtiendra également les catalogues de JPR, où l’on retrouve la populaire émission Les gags, diffusée dans plus de 50 pays.

PwC avait invité cinq groupes à soumettre une offre pour JPR.

ComediHa !, le tandem formé du Cirque du Soleil et de KOTV et le Groupe Entourage étaient les options québécoises. On retrouvait aussi deux acteurs torontois spécialisés dans la production télévisuelle et cinématographique : New Metric Media et Vortex Media. La Presse a été en mesure de confirmer leur identité.

Plusieurs secteurs d’activité de ComediHa !, spécialisée dans la production de spectacles et d’émissions, la gestion d’artistes et la distribution, chevauchent ceux de JPR. Le 8 mai dernier, l’entreprise de Québec annonçait la tenue d’un festival humoristique estival à Montréal du 18 au 28 juillet alors que le processus de vente de JPR battait toujours son plein. À Québec, elle produit déjà un festival d’humour, le ComediHa ! Fest-Québec.

« [ComediHa!] est probablement l’entreprise qui a le plus d’atomes crochus avec JPR, estime François Brouard, professeur titulaire de l’Université Carleton et membre du Groupe de recherche sur l’industrie de l’humour. Pour moi, c’est probablement le repreneur le plus naturel. »

Le groupe sera-t-il en position de monopole dans l’industrie québécoise de l’humour ? M. Brouard est moins catégorique que M. Colbert.

« Oui et non, dit-il. Il y a une dizaine d’années, les grands festivals humoristiques étaient un passage obligé pour les artistes. Maintenant, c’est moins linéaire. Si on pense à des humoristes comme Arnaud Soly ou Pierre-Yves Roy-Desmarais, ils n’ont pas suivi ce chemin-là. »

Des questions

Une fois la transaction conclue, ComediHa ! devra décider du sort des employés de JPR. En se plaçant à l’abri de ses créanciers, le 6 mars dernier, l’entreprise avait mis à pied 70 employés – environ 75 % de son effectif. Reste à voir s’ils auront envie de rester à bord du nouveau groupe.

Lorsqu’il s’est protégé de ses créanciers, le Groupe Juste pour rire traînait des créances d’environ 50 millions. La chute du spécialiste de l’humour pourrait coûter jusqu’à 17 millions à son fondateur, Gilbert Rozon. Il s’agit du solde du prix de la vente survenue en 2018, une somme considérée comme une créance non garantie.

L’homme d’affaires s’est tourné vers les tribunaux dans l’espoir de se faire payer.

ComediHa ! en bref

Création : 1997

Siège social : Québec

Président et chef de la direction : Sylvain Parent-Bédard

Secteurs : production de spectacles et d’émissions, gestion d’artistes, distribution

Bureaux : Montréal et Hollywood

En savoir plus
  • 1983
    Présentation du premier festival Juste pour rire
    Source : Groupe Juste pour rire
    12 millions
    Pertes accumulées par JPR depuis cinq ans
    Source : PwC