Les vagues de chaleur augmentent légèrement le taux de naissances prématurées, selon une nouvelle étude américaine. C’est la première fois que cet effet peut être prouvé.

« Nous avons été surpris de constater cet effet sur le risque de naissance prématurée », explique l’auteure principale de l’étude publiée en mai dans la revue JAMA Network Open, Lindsey Darrow de l’Université du Nevada.

« Nous pensions que l’omniprésence de la climatisation rendrait le risque minuscule. L’effet est faible, 2 %, mais comme toutes les femmes enceintes sont touchées, ça demeure important sur le plan populationnel. Et les milieux défavorisés sont deux fois plus touchés. »

L’étude a analysé 53 millions de naissances entre 1993 et 2017 dans 50 métropoles américaines, ce qui représente plus de la moitié des naissances dans le pays durant cette période. Le risque de naissance prématurée était analysé en fonction des vagues de chaleur dans la semaine précédant la naissance. Une vague de chaleur était définie comme quatre jours au-dessus du 97,5e percentile des températures normales.

Dans cette étude, les femmes issues de minorités ethniques ainsi que des femmes qui n’avaient pas de diplôme d’études secondaires, deux groupes surreprésentés dans les milieux défavorisés, couraient un risque plus important de donner naissance prématurément.

Les naissances prématurées (avant 37 semaines) sont liées à une augmentation des complications. Les parturientes et les bébés ont neuf fois plus de risques d’hospitalisation aux soins intensifs lors des naissances prématurées, selon une étude de 2020 de l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ).

L’épidémiologiste de Reno voulait par ce travail mettre un terme à un débat qui avait cours depuis plus d’une décennie. « Quand on a commencé à parler davantage des vagues de chaleur plus fréquentes avec les changements climatiques, on s’est demandé quel serait l’impact du phénomène sur les femmes enceintes, qui sont plus sensibles aux facteurs de stress, dit Mme Darrow. Mais jusqu’à maintenant, seules deux grandes études avaient tenté de répondre à la question, et elles ne donnaient pas de réponses définitives. Avec plus de 50 millions de naissances, nous voulions tirer la chose au clair. »

Étude québécoise

Une étude québécoise publiée en 2014 dans la revue Epidemiology, sur 220 000 naissances à Montréal entre 1981 et 2010, n’avait trouvé un effet que sur les naissances avant terme (à 37 et 38 semaines de grossesse), mais pas pour les naissances prématurées.

Et une étude américaine publiée en 2017 dans la revue Environmental Health Perspectives sur 200 000 naissances avait identifié un risque accru (11 %) de naissance prématurée en tenant compte seulement des vagues de chaleur durant le premier trimestre de grossesse. Cette restriction risquait cependant de fausser l’analyse, puisque les femmes n’habitaient pas nécessairement dans la ville d’accouchement au début de la grossesse. Cette étude de 2017 décrivait par ailleurs un effet encore plus important des vagues de froid durant le premier trimestre.

Audrey Smargiassi, coautrice de l’étude québécoise de 2014, estime que l’étude américaine confirme que le risque posé par la chaleur pour les femmes enceintes est faible mais bien réel. « Il vaut peut-être la peine de viser les populations vulnérables, notamment les personnes qui n’ont pas de climatisation », dit l’épidémiologiste de l’Université de Montréal.

Mme Darrow veut justement poursuivre son travail avec des données plus fines de certains États. « On voit qu’il y a un effet, et qu’il est plus important pour les milieux potentiellement défavorisés. Il faut maintenant voir l’impact pour les femmes qui ont déjà un risque plus élevé de prématurité dans leur grossesse, à cause de stress de vie en général, de la pauvreté, d’un travail difficile, ou alors des risques génétiques. Il n’y a pas assez de précision dans les données fédérales, notamment pour ce qui est de la présence de climatisation dans les domiciles. Mais en travaillant avec des données de certains États, comme la Californie, on va peut-être pouvoir détecter cet effet. Si l’augmentation de risque est plus grande, on n’aura pas besoin de millions de naissances pour l’observer. »

Métabolisme

L’autre avenue de recherche est de mieux comprendre quels facteurs biologiques sont en cause dans l’augmentation de la prématurité avec les vagues de chaleur, dit Mme Darrow.

« Il y a plusieurs facteurs possibles, mais il faut mieux les comprendre, dit-elle. La déshydratation peut réduire l’apport sanguin au placenta, ce qui pourrait créer des contractions et influencer la production d’hormones favorisant le travail menant à l’accouchement. Les mécanismes métaboliques protégeant les cellules contre une chaleur excessive augmentent l’inflammation, aussi liée au début du travail. Les membranes peuvent être affaiblies et se rompre sous l’effet de la chaleur. Finalement, un coup de chaleur peut exacerber des maladies de grossesse, comme l’hypertension, et affecter directement la santé du fœtus. »

« Il y a un élément de stress certainement », affirme Nathalie Auger, elle aussi épidémiologiste de l’Université de Montréal et coautrice de l’étude de 2014. « C’est assez physiquement difficile d’être enceinte à 35 semaines, même 32. Tout stress additionnel est en surplus. »

Mme Auger cite un type de protéines produites quand le corps humain vit un coup de chaleur (heat shock proteins). La production de ces protéines, découvertes en laboratoire dans les années 1960 chez la mouche drosophile, est associée à une diminution de l’énergie disponible pour d’autres activités du corps humain, selon une étude de biologistes de l’Université de Californie à San Francisco, publiée en 2019 dans la revue Physiology.

En savoir plus
  • +2 %
    Augmentation du risque de naissance prématurée lors des vagues de chaleur
    Source : Jama network open
    -50 %
    Diminution de la mortalité liée à la prématurité dans les pays riches entre 1990 et 2019
    Source : JAMA Pediatrics
  • 5,6 %
    Proportion de prématurité dans les naissances au Québec en 1981
    Source : INSPQ
    7 %
    Proportion de prématurité dans les naissances au Québec en 2017
    Source : INSPQ