Le médecin en chef des États-Unis sonnait l’alarme l’an dernier sur une « épidémie de solitude ». Cette calamité du troisième millénaire passionne les chercheurs. Leur but : comprendre les effets de l’isolement sur le corps humain.

« L’isolement social a été lié à un risque plus élevé de plusieurs problèmes de santé », explique Timothy Matthews, psychologue à l’Université de Greenwich, en Angleterre, qui a publié une étude sur le sujet en janvier dans la revue Brain, Behavior and Immunity. « Nous montrons que la cause de ces problèmes de santé pourrait être une inflammation chronique. »

Le psychologue britannique, qui étudie la question depuis 10 ans, établit une différence entre la solitude et l’isolement social. « La solitude est un sentiment, un état d’esprit. On peut avoir beaucoup d’amis mais ne pas sentir d’affinités avec eux, ou ne pas se sentir suffisamment reconnu. L’isolement social, s’il est prolongé, est ce qui est dommageable de manière générale sur le plan de la santé. » Plusieurs études utilisent toutefois de manière interchangeable les deux termes.

L’étude de M. Matthews, qui a analysé les données de deux cohortes longitudinales totalisant 2500 personnes, montre que l’isolement social durant l’enfance est lié à des taux plus élevés d’inflammation chronique à 18, 38 et 45 ans. Il prévient toutefois qu’on ne peut établir avec ces cohortes un lien de causalité : il est possible qu’une autre cause, par exemple des gènes, explique à la fois l’inflammation chronique à l’âge adulte et le fait de ne pas avoir beaucoup d’amis ou une vie familiale riche durant l’enfance.

Ces résultats sont faibles par rapport à d’autres sources d’inflammation chronique, comme un deuil ou de la violence en bas âge.

Mais ils sont statistiquement significatifs même si on tient compte de facteurs confondants comme le tabagisme, le revenu ou l’éducation.

Timothy Matthews, psychologue à l’Université de Greenwich, en Angleterre

D’autres études ont montré que l’isolement social augmente le risque de démence, d’alzheimer, de maladie de Parkinson et de troubles cardiaques – la pression sanguine et le rythme cardiaque des esseulés sont plus élevés en moyenne. L’an dernier, des chercheurs de l’Université du Maine ont montré que l’isolement social peut aussi mener à des difficultés de mobilité. « Nos données montrent que l’isolement social est lié à une démarche plus lente, probablement par l’entremise de l’inflammation chronique », explique Rebecca MacAulay, auteure principale de l’étude publiée dans la revue Psychosomatic Medicine.

Pour toutes ces raisons, le médecin en chef des États-Unis, Vivek Murthy, a publié en mai 2023 un rapport sur « l’épidémie de solitude » touchant le pays. Avant même la pandémie, la moitié des Américains souffraient d’isolement social, selon le rapport. L’isolement social augmente le risque de dépression et d’adoption de mauvaises habitudes de vie, comme la sédentarité, ce qui amplifie ses effets sur la santé à un niveau comparable au tabagisme, affirmait le Dr Murthy.

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L’isolement social est particulièrement problématique pour les personnes âgées.

Évolution

Pourquoi l’isolement social augmente-t-il l’inflammation ? « Nos ancêtres avaient plus de chances de survivre et d’avoir des enfants s’ils étaient bien entourés, dit M. Matthews. Les gens seuls avaient plus de risques de se blesser ou d’être attaqués. Le corps augmentait possiblement automatiquement l’inflammation, qui est une manière de lutter contre les infections, pour contrer ce risque accru. »

L’isolement social est particulièrement problématique pour les personnes âgées parce que l’inflammation chronique est liée à de nombreux problèmes de santé de la vieillesse. Or, c’est particulièrement pour les aînés que l’isolement devient plus fréquent, selon une étude américaine publiée l’hiver dernier dans la revue Psychological Science.

« La solitude suit une courbe en U durant l’âge adulte », explique l’auteure principale de l’étude, Eileen Graham, de l’Université Northwestern, en banlieue de Chicago. « Elle est moins fréquente au milieu de l’âge adulte, probablement à cause des relations de travail et familiales à ce moment. »

Mme Graham a analysé neuf études longitudinales regroupant 128 000 personnes de 13 à 103 ans, dans 20 pays.

L’isolement social était plus important chez les femmes, chez les gens moins éduqués et pauvres, mais la courbe en U était toujours la même.

D’autres études ont montré que le début de la courbe en U commence dans l’enfance : l’isolement social diminue à partir de l’adolescence.

Le temps passé par les jeunes devant des écrans, qui inquiète beaucoup de commentateurs et de chercheurs, pourrait-il changer la forme de cette courbe ? « C’est certainement une question à étudier », dit Mme Graham. Il se peut par exemple, dit-elle, que la diminution de l’isolement social au fil de l’adolescence et du début de l’âge adulte soit liée à l’apprentissage de la sociabilité et des signaux sociaux, un apprentissage qui pourrait être compromis par trop de temps passé avec des amis virtuels plutôt qu’en chair et en os.

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Les femmes sont plus touchées par l’isolement au troisième âge.

Les femmes sont plus touchées par l’isolement au troisième âge à cause des liens familiaux qui sont si bénéfiques au mitan de la vie. Les mères ont tendance à avoir moins de rencontres sociales non liées à la famille, selon la psychologue de l’Illinois. « Dans les familles plus traditionnelles, la vie sociale des femmes est différente de celle des hommes », dit Mme Graham. Quand les enfants grandissent, les femmes qui ont centré leur vie sociale sur leur famille ont plus de risques de solitude, selon elle.

Une version extrême de la solitude est l’emprisonnement solitaire, une mesure administrative punitive dans les prisons. « Il s’agit de l’une des punitions les plus sévères en prison, dit M. Matthews. C’est vraisemblablement à cause de l’ampleur de ses effets négatifs sur la santé et le stress. »

En savoir plus
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    Nombre minimum d’amis proches qu’ont les Américaines dans la quarantaine se déclarant très satisfaites de leur vie.
    Source : Adultspan Journal
    6
    Nombre minimum d’amis proches qu’ont les Américains ayant une bonne santé métabolique.
    Source : Proceedings of the National Academy of Sciences