Parce que sa sorte de biscuits préférés n’était pas offerte ce jour-là, une patiente en CHSLD a fait vivre un « enfer » à son infirmière traitante en répandant la rumeur qu’elle l’avait brutalisée, allant même jusqu’à témoigner dans le cadre d’un reportage de l’émission JE. Cinq ans, des accusations criminelles et une enquête administrative plus tard, la professionnelle a été blanchie, mais elle garde des séquelles.

La vie de Johanne Charles a basculé d’un coup le 29 mai 2019.

L’infirmière auxiliaire au dossier sans tache travaillait de soir à l’hôpital Sainte-Anne, dans l’Ouest-de-l’Île, un établissement de soins de longue durée.

Elle est alors responsable d’une bénéficiaire « assez difficile », mais qu’elle est la seule à accepter de soigner. Car contrairement à plusieurs de ses collègues, elle n’a jamais eu de problèmes avec la dame jusqu’ici.

Mais en soirée, fâchée d’apprendre que sa sorte préférée de biscuits n’est pas offerte, la patiente jette son verre de jus par terre et lance à Johanne Charles qu’elle va la « faire payer », peut-on lire dans un récent jugement du Tribunal administratif du travail (TAT).

Comment ? lui demande cette dernière. « Je vais me jeter par terre et dire que c’est toi », lui répond la patiente, des menaces que l’infirmière ne prend pas au sérieux.

Jusqu’au retour de sa pause, lorsqu’elle apprend que la bénéficiaire a une bosse sur le front et qu’elle accuse Johanne Charles de l’avoir blessée. Celle-ci n’en revient pas, racontera-t-elle au Tribunal.

« Elle va payer »

À son retour au travail, le lendemain, le manège se répète. Dans le couloir, la bénéficiaire crie à tous que l’infirmière lui a infligé ses blessures et qu’« elle a appelé son fils et qu’il s’en vient et qu’elle va payer et que la travailleuse va partir ». Des paroles accompagnées d’insultes à caractère raciste.

Les choses déboulent ensuite rapidement.

Johanne Charles est suspendue avec solde aux fins de l’enquête. Elle sera plus tard contactée par le Service de police de la Ville de Montréal et accusée de voies de fait.

Au poste, les policiers prennent ses empreintes et « lui parlent longuement au sujet de la violence faite aux personnes âgées ».

Puis, l’hiver suivant, une équipe de l’émission JE, diffusée à TVA, débarque chez elle. Dans leur reportage, toujours disponible en ligne, on aperçoit l’infirmière, le visage flouté, refuser de répondre aux questions du journaliste venu cogner à sa porte.

On peut également y entendre la patiente décrire la scène où l’infirmière l’aurait poussée dans le mur.

« C’est effrayant de faire ce qu’elle m’a fait », dit la dame. « Je ne sais pas ce qu’elle avait contre moi, je n’ai jamais vu une affaire de même. […] J’étais contente qu’elle soit partie, elle était vraiment déplaisante », ajoute-t-elle, au côté de son fils.

Le même manège

Or, les accusations criminelles seront finalement abandonnées quelques mois plus tard, lorsqu’on apprend que la dame a tenté de reproduire le même manège avec une autre employée.

Le calvaire de Johanne Charles n’est pas terminé pour autant. Plus d’un an après l’incident avec la bénéficiaire, en août 2020, elle est réintégrée au travail, mais dans un autre établissement.

Au TAT, elle raconte se sentir alors « isolée et ostracisée » lorsqu’elle se rend compte que des collègues la reconnaissent et la montrent du doigt. Elle refuse d’être seule avec une bénéficiaire, de peur d’être de nouveau faussement accusée.

Elle consulte finalement en juillet 2021 un médecin qui la met en arrêt de travail.

Débute ensuite une saga judiciaire pour faire reconnaître son traumatisme qui ne se conclura qu’en mai 2024.

Un juge administratif conclut alors que Johanne Charles a bel et bien subi une lésion professionnelle découlant de l’incident avec la patiente.

Le début d’une série d’expériences traumatisantes, et ce, « alors qu’elle sait qu’elle n’a rien fait ». « Et tout cela pour des biscuits », souligne la magistrate.

Par l’entremise de son avocate, Johanne Charles a décliné notre demande d’entrevue.

Des préoccupations concernant les conditions de travail

La Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec (FIQ), qui l’a représentée devant le tribunal, indique ne pas répertorier activement les cas de professionnelles faussement accusées de maltraitance.

« La FIQ exprime souvent des préoccupations concernant les conditions de travail de ses membres, qui exercent fréquemment dans des contextes difficiles, marqués par des pressions et des charges de travail élevées », explique sa vice-présidente, Françoise Ramel.

« La protection contre les fausses accusations réside dans l’amélioration des conditions de travail », ajoute-t-elle.

« Pour des raisons de confidentialité, nous ne commentons pas les dossiers de nos employés », a indiqué une porte-parole du CIUSSS de l’Ouest-de-l’Île-de-Montréal, dont relève l’hôpital Sainte-Anne, Hélène Bergeron-Gamache.

« Notons que lorsqu’une enquête est déclenchée en raison d’allégations de violence, l’employé visé par celles-ci est suspendu le temps de faire la lumière sur les évènements. La sécurité des résidants est la priorité du CIUSSS de l’Ouest-de-l’Île-de-Montréal », ajoute-t-elle.