Billet médical pour les absences à l’école, ordonnances exigées par les assureurs, formulaires désuets : Québec passera à la trappe plusieurs obligations pour réduire la paperasse des médecins. Des mesures qui pourraient sauver jusqu’à 917 000 rendez-vous médicaux par an, selon le gouvernement. Une estimation qui a ses limites. Explications.

« C’est quand même énorme ! »

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Christian Dubé, ministre de la Santé

Québec a multiplié les annonces cet hiver pour réduire le fardeau administratif des médecins de famille. Chaque mesure s’accompagne d’une estimation de consultations sauvées. « Quand vous additionnez tous les rendez-vous qui seraient mieux réorientés avec cette diminution de la paperasse, on parle d’au moins 750 000 rendez-vous. C’est quand même énorme ! », se targuait en mai le ministre de la Santé, Christian Dubé. Or, c’était avant la confirmation de mesures additionnelles. Québec estime qu’il sauvera entre 868 000 et 917 000 consultations par année avec ce qui a été présenté jusqu’à maintenant (VOIR ENCADRÉ).

14 millions

Il s’agit du nombre de consultations annuelles avec un médecin de famille au Québec, par année.

Source : ministère de la Santé et des Services sociaux

Selon « le gros bon sens »

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Marc-Nicolas Kobrynsky, sous-ministre adjoint à la Direction générale de la planification stratégique et de la performance au ministère de la Santé et des Services sociaux

Mais comment Québec arrive-t-il à ces chiffres ? L’estimation du gouvernement Legault a ses limites, admet le sous-ministre adjoint à la Direction générale de la planification stratégique et de la performance au ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS), Marc-Nicolas Kobrynsky. « Ce n’est pas parfait. Je n’ai pas un code de médecin qui me dit que le patient est venu pour avoir un billet », illustre-t-il. Selon lui, les intrants (données à la source) « sont très fermes », mais le reste tient la plupart du temps d’une hypothèse « la plus conservatrice possible » qui s’appuie sur « le gros bon sens » et ce qui est rapporté du terrain.

Exemple de calcul 

Prenons un exemple précis. Québec évalue qu’il récupérera 135 000 rendez-vous par année en donnant aux médecins le pouvoir de déterminer la fréquence des suivis médicaux d’une personne en situation d’invalidité, plutôt que cela soit établi par l’assureur privé. Quelque 2,9 millions de Québécois sont couverts par de l’assurance invalidité, selon l’Association canadienne des compagnies d’assurance de personnes. Le taux d’invalidité est à 6 % par année. C’est donc dire que 180 000 personnes se retrouvent chaque année en invalidité de courte ou longue durée. Québec émet alors l’hypothèse qu’il peut au moins éliminer un rendez-vous dans 75 % des cas, ce qui donne quelque 135 000 rendez-vous sauvés par an.

Absence de données

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Bernard Drainville, ministre de l’Éducation

En éducation, l’absence de données rend l’exercice plus complexe. Québec évalue qu’il sauvera entre 50 000 et 99 000 rendez-vous en éliminant l’obligation d’avoir un billet médical pour justifier une absence de cinq jours et moins ou lors d’un examen. Or, certaines écoles l’exigent, d’autres non. « Personne n’a de chiffres là-dessus, admet M. Kobrynsky. Dans les universités et les collèges, c’est particulièrement répandu de demander des billets. Dans le réseau scolaire, c’est incertain, et l’Éducation ne le savait pas non plus. » L’évaluation s’appuie donc sur une hypothèse non validée d’un taux d’absentéisme de 2 % (pour motifs qui nécessitent un billet d’absence). « M. [Bernard] Drainville a décidé 50 000 parce que justement, on ne le sait pas. Moi, je n’ai pas d’enjeu », ajoute le sous-ministre, qui estime cependant que l’évaluation est raisonnable en raison du fort bassin d’élèves.

1,8 million

Nombre d’élèves et d’étudiants au Québec, du primaire à l’université

Source : ministère de la Santé et des Services sociaux

« Urgence d’agir »

Bien que certaines soient contestables, Marc-Nicolas Kobrynsky est « très à l’aise » avec les estimations présentées. « Tout le monde aurait voulu des chiffres plus précis, mais ils n’existent pas. Est-ce que j’avais un an et demi pour continuer l’échantillonnage ? Je ne pense pas, je pense qu’il y a urgence d’agir [pour désengorger la première ligne] », plaide le sous-ministre, dont le mandat est d’améliorer la performance du système. « On a agi et après, si nos estimations ne sont pas totalement précises, je suis à l’aise avec ça », soutient-il, rappelant que le MSSS s’appuie sur des problématiques soulevées par les médecins. Le gouvernement a choisi de présenter des données, même imparfaites, parce que « c’est demandé par la société civile, les journalistes » et même par le Ministère pour justifier le déploiement des mesures. Ces modifications pourront d’ailleurs « mener à d’autres initiatives » dans les mois à venir, toujours dans l’objectif de réduire le fardeau administratif des omnipraticiens.

Un échantillonnage en décembre

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Jean Boulet, ministre du Travail

Québec promet de mesurer le succès de ses mesures en créant « un petit outil d’échantillonnage » qui sera déployé en décembre dans un certain nombre de cliniques. « À la fin, on sera capable de voir, selon nos estimations, si on a sauvé les rendez-vous ou non. Si on continue d’en avoir, bien on [aura] un problème », explique M. Kobrynsky. L’outil sera « le plus léger possible » et « valide statistiquement ». Le sous-ministre rappelle qu’il faut d’abord attendre que le projet de loi de Jean Boulet, déposé à la fin de la session parlementaire, soit adopté. Le texte législatif devrait être étudié l’automne prochain.

Le « comité paperasse »

Dans la foulée de la présentation du Plan santé du ministre Christian Dubé, le ministère de la Santé et des Services sociaux met en place le projet « réduction de la charge administrative des médecins », surnommé le « comité paperasse », en février 2023. L’objectif est de réduire de 10 % la charge administrative des omnipraticiens pour « assurer une disponibilité maximale des médecins à la population québécoise ». La Fédération des médecins omnipraticiens du Québec (FMOQ) collabore aux travaux du gouvernement.

Moins de billets médicaux, les mesures en bref :

1. Abolition de l’obligation pour les médecins de remplir un formulaire de demande d’hébergement de soins de longue durée pour un patient. Estimation : 18 000 rendez-vous sauvés

2. Québec permet aux omnipraticiens de déterminer eux-mêmes la fréquence des suivis des patients indemnisés par la CNESST, qui pouvait demander par exemple un suivi aux trois semaines, ce qui n’était pas toujours utile. Estimation : 120 000 rendez-vous sauvés.

3. Ce sont aussi les médecins qui détermineront la fréquence des suivis des patients indemnisés par la SAAQ. Estimation : 2000 rendez-vous sauvés.

4. Le ministre du Travail, Jean Boulet, a déposé en mai un projet de loi qui vient serrer la vis aux assureurs privés et aux employeurs.

  • Élimination de l’exigence d’un billet médical pour obtenir un remboursement après une visite chez un professionnel (physiothérapeute, massothérapeute…). Estimation : 255 000 rendez-vous sauvés
  • Élimination de l’exigence d’un billet médical pour le remboursement des aides techniques couvertes par l’assureur (canne, orthèse…). Estimation : 128 000 rendez-vous sauvés
  • Le médecin déterminera la fréquence des suivis d’une personne en situation d’invalidité. Estimation : 135 000 rendez-vous sauvés
  • Élimination de l’obligation de présenter un billet médical pour une absence de trois jours et moins. Estimation : 88 000 rendez-vous sauvés

5. Québec a demandé aux établissements scolaires de ne plus exiger, dès septembre, un billet médical pour les absences de courte durée (moins de 5 jours) et pour les examens « maison » du réseau scolaire et ceux de l’enseignement supérieur. Estimation : entre 50 000 et 99 000 rendez-vous sauvés

6. Les médecins ne demanderont plus périodiquement le renouvellement de l’autorisation de remboursement de la RAMQ pour certains médicaments d’exception. La liste des médicaments visés s’allongera progressivement au cours de l’année. Cela ira de médicaments prescrits pour le diabète à certains traitements en oncologie et pour les maladies chroniques inflammatoires. Estimation : 72 000 rendez-vous sauvés

Total : de 868 000 à 917 000 consultations en moins par année

En savoir plus
  • 25 %
    Environ le quart de la charge de travail des médecins est consacrée à du travail administratif.
    Source : Fédération des médecins omnipraticiens du Québec
    40 millions
    Économies générées par l’application de l’ensemble des mesures en estimant qu’une visite chez le médecin coûte 47 $ à l’État québécois. Il s’agit d’économies relatives alors que les rendez-vous sauvés seront remplacés par d’autres consultations médicales.
    Source : ministère de la Santé et des Services sociaux