« Robot nurse : c’est notre nouveau nom ! » L’infirmière auxiliaire Marie-Soleil Lévesque blague à peine. Depuis une semaine, elle a l’impression de jouer dans un film de science-fiction. Et d’en être l’une des actrices principales. Mais elle a les deux pieds bien ancrés dans la réalité.

Marie-Soleil Lévesque travaille dans la nouvelle unité hospitalière de soins virtuels de l’hôpital du Suroît, situé à Salaberry-de-Valleyfield, en Montérégie. Lors de ses tournées de patients, elle porte un casque de réalité augmentée. Une infirmière de l’Hôpital général juif à Montréal l’accompagne virtuellement, afin d’évaluer les malades (ce qu’une infirmière auxiliaire n’est pas autorisée à faire). Elle voit tout ce que sa collègue du Suroît observe à travers ses lentilles.

« On est avec Julie, l’infirmière, au téléphone », explique Marie-Soleil Lévesque à un patient, assis dans un fauteuil à côté de son lit d’hôpital. « On voulait savoir comment ça se passait aujourd’hui pour vous. Vous n’avez pas de douleur ? Pas d’essoufflement non plus ? »

L’infirmière auxiliaire se penche pour observer les jambes du patient – « on n’a pas d’enflure » – puis s’approche du cathéter. « Il est bien en place avec la date inscrite. »

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Ce dispositif de monitorage transmet 24 heures sur 24 les signes vitaux du patient à l’Hôpital général juif et à leur infirmière attitrée.

Au moment du passage de La Presse lundi, cinq patients étaient hospitalisés dans la nouvelle unité de soins virtuels du Suroît, ouverte cinq jours plus tôt. Sur leur thorax, un dispositif de monitorage qui transmet 24 heures sur 24 les signes vitaux (pouls, tension artérielle, etc.) à l’Hôpital général juif et à leur infirmière attitrée.

Denis Bray, 65 ans, apprécie l’expérience virtuelle. « On s’abandonne de toute façon à l’hôpital », dit l’entrepreneur en construction, qui souffre d’une pneumonie.

Tu n’as pas besoin d’avoir une infirmière collée, collée.

Denis Bray, patient dans la nouvelle unité de soins virtuels du Suroît

Amateur de technologies, Jorge Ortiz juge aussi « très correct » son séjour dans la nouvelle unité pour des problèmes liés à la maladie de Crohn.

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L’infirmière auxiliaire Marie-Soleil Lévesque au chevet de Jorge Ortiz

Pauline Lajoie, 96 ans, affirme pour sa part qu’elle entend mal les questions de l’infirmière en virtuel. « L’autre [l’infirmière auxiliaire] répète ce qu’elle a entendu et je peux répondre », précise, avec un petit filet de voix, la dame à la belle crinière blanche, dont l’état s’est dégradé dernièrement. « Ils m’ont prise en main pour me soigner. »

En réponse à une crise

Le CISSS de la Montérégie-Ouest le reconnaît : l’unité hospitalière de soins virtuels a été mise en place en deux semaines pour faire face à une « situation de crise ».

Il fallait sauver des lits d’hospitalisation. Il y a près d’un mois, 20 lits ont été fermés au Suroît en raison d’un manque de personnel.

La pénurie d’infirmières est encore plus criante depuis la mise en place des nouvelles règles de Québec visant à limiter le recours à la main-d’œuvre indépendante (MOI).

« Dans les unités de médecine et de chirurgie au Suroît, 50 % des infirmières sur les quarts de soir sont de la main-d’œuvre indépendante, explique Nancy Malenfant, directrice des activités hospitalières. De nuit, on parle de 75 % de postes à découvert, donc couverts par la MOI. »

À la mi-mai, le CISSS de la Montérégie-Ouest avait embauché 80 personnes issues des agences de placement, dont 49 infirmières et infirmières auxiliaires.

« Avec l’unité virtuelle, on va être capable de récupérer 20 lits, éventuellement aussi des lits de surcapacité », estime le DMitchel Germain, chef du département de médecine générale et directeur adjoint des services professionnels de l’hôpital du Suroît.

L’Hôpital général juif fournit le personnel infirmier (voir autre onglet). Une infirmière du Suroît doit toutefois se rendre dans l’unité deux fois par jour pour administrer aux patients, par exemple, des antibiotiques par intraveineuse, un acte réservé à sa profession.

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Le centre de commandement de l'Hôpital général juif, qui permet de monitorer les patients à distance, dont certains font aussi partie du service d’hospitalisation à domicile, lancé en 2022

« Il a fallu choisir des modèles d’antibiotiques [donnés] aux 12 heures plutôt qu’aux 4 heures, indique le DGermain. On a consulté nos spécialistes, nos microbiologistes et la pharmacie. »

Les malades doivent être dans un état stable pour séjourner dans la nouvelle unité. Il faut aussi qu’ils soient aptes à donner leur consentement – ils peuvent refuser d’y aller. Donc, pas de cas présentant un trouble cognitif ou un délirium.

On a choisi des patients dont l’hospitalisation risque d’être très courte [trois ou quatre jours], qui n’ont pas besoin d’une réadaptation intensive et qui sont capables de se mobiliser rapidement.

Le DMitchel Germain, chef du département de médecine générale et directeur adjoint des services professionnels de l’hôpital du Suroît

Selon le DGermain, ces groupes de patients « représentent une très grande majorité » des malades vus aux urgences.

Une petite révolution

Pour le personnel de cette unité du Suroît, il s’agit d’une petite révolution. L’hôpital est passé de l’ère du télécopieur et des dossiers papier à celle des casques de réalité augmentée.

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Marie-Soleil Lévesque sort le casque de réalité virtuelle augmentée au côté de l'adjointe à la directrice des soins infirmiers, Pamela Arnott.

Les infirmières auxiliaires gagnent du temps en ne prenant plus manuellement les signes vitaux des patients. Mais elles doivent accomplir leurs tâches habituelles (comme donner les médicaments) tout en apprenant à maîtriser de nouvelles technologies.

C’est beaucoup de changement, beaucoup d’adaptation, beaucoup de nouveauté, beaucoup de stress. Donc, une journée à la fois.

Marie-Soleil Lévesque, infirmière auxiliaire

Les patients sont cependant « moins lourds », selon la préposée aux bénéficiaires Myriam Lévesque (sœur de Marie-Soleil). « On court moins, on a plus de temps à prendre avec eux, les faire marcher. » Les médecins, eux, continuent de faire leurs visites en personne. Ils communiquent avec l’infirmière par téléphone.

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Les sœurs Myriam et Marie-Soleil Lévesque, dans l'unité de soins virtuels de l'hôpital du Suroît

La présidente du Syndicat des professionnelles en soins de Montérégie-Ouest (FIQ-SPSMO), Mélanie Gignac, voit d’un « bon œil » cette initiative, mais demeure « vigilante ». « Il va falloir que les patients soient choisis adéquatement pour aller là-bas », indique-t-elle.

Le CISSS assure que la sécurité des patients demeure la priorité. Et la chaleur humaine, dans tout ça ? « Les préposés sont présents, les infirmières auxiliaires sont aussi présentes », répond Pamela Arnott, adjointe à la directrice des soins infirmiers. Un physiothérapeute ou un travailleur social peut se rendre au chevet du patient au besoin. « On peut penser qu’avec les lunettes et l’écran, ça enlève le côté humain, mais en même temps, ils ont la chaleur humaine des autres professionnels. »