(Ottawa) Les Canadiens ne sont pas tous égaux face aux soins de santé. Les patients qui ne parlent pas la même langue que leurs professionnels de la santé reçoivent généralement des services de santé de qualité moindre, ont observé des équipes de recherche, qui appellent à une série de solutions pour renverser la tendance.

Ce qu’il faut savoir 

Les patients hospitalisés qui ne parlent pas la même langue que leur médecin ont une mortalité plus élevée, selon une étude ontarienne.

Les nouveaux arrivants se heurtent à des obstacles pour avoir accès à des soins de santé adéquats.

Les soins de santé devraient toujours être offerts dans les deux langues officielles, estiment les spécialistes.

« Par différentes études, on a établi que les patients qui ne parlent pas la même langue que leur médecin, comme les francophones en Ontario, ont des issues médicales moins favorables », indique à La Presse la titulaire de la Chaire en médecine familiale de l’Université d’Ottawa et de l’Institut du savoir Montfort, la Dre Lise Bjerre.

Ces études ont été réalisées chez des patients hospitalisés ou hébergés en soins de longue durée, soit « dans des situations très vulnérables, où la compréhension est particulièrement importante », dit la médecin de famille.

Quand la communication est embrouillée à cause de barrières linguistiques, il peut y avoir des interprétations erronées et des erreurs.

Dre Lise Bjerre, titulaire de la Chaire en médecine familiale de l’Université d’Ottawa et de l’Institut du savoir Montfort

Une étude réalisée en Ontario a démontré que les patients hospitalisés qui ne parlent pas la même langue que leur médecin avaient une mortalité plus élevée au cours de leur séjour à l’hôpital. Les résidants des centres de soins de longue durée qui ne parlent pas la langue dominante de l’établissement ont également tendance à recevoir plus de prescriptions d’antipsychotiques potentiellement inappropriés, indique la médecin de famille.

Ces résultats ont été discutés jeudi à l’Hôpital Montfort à Ottawa dans le cadre de la 91édition du congrès de l’Acfas, organisme contribuant à l’avancement des sciences en français.

Les Franco-Ontariens plus souvent hospitalisés

Le gouvernement Trudeau soutient que la langue ne devrait jamais être un obstacle aux soins de santé de qualité et que tous les Canadiens devraient avoir accès aux soins de santé dans la langue officielle de leur choix.

Or, ce n’est pas toujours le cas, observe la professeure de physiologie à l’Université de Saint-Boniface au Manitoba, Danielle de Moissac. « On vient de faire une étude sur l’effet de la pandémie sur les familles francophones des Prairies, et ce qui est ressorti le plus, c’est le manque d’informations et de services en français. »

La différence des langues entre le patient et son professionnel de la santé peut conduire à une mauvaise compréhension des instructions médicales, indique le chercheur à l’École de santé dans les milieux ruraux et du Nord de l’Université Laurentienne Patrick Timony.

« [Les patients] peuvent ne pas suivre correctement les directives ou prendre des médicaments qui ne devraient pas être pris ensemble », illustre-t-il. Ces situations ont un impact sur la santé des patients. Les francophones en Ontario fréquentent d’ailleurs plus souvent les hôpitaux que les anglophones, indique le chercheur.

Le nombre de professionnels de la santé bilingues au Canada n’est pas suffisant pour répondre aux besoins de la population, note le chercheur. En Ontario, par exemple, les médecins qui travaillent dans des collectivités à haute densité francophone et qui sont eux-mêmes francophones sont surchargés. « Dans le nord de la province, ils ont tendance à travailler cinq heures de plus par semaine et à voir 20 patients de plus que le médecin moyen », dit M. Timony.

Des obstacles pour les nouveaux arrivants

Les nouveaux arrivants se heurtent également à des obstacles pour avoir accès à des soins de santé adéquats. Il est démontré que la santé physique et mentale des immigrants francophones dans les provinces canadiennes, hormis le Québec, se dégrade dans les deux premières années suivant leur arrivée, a déclaré le directeur général de la Société Santé en français, Antoine Désilets.

« On sait qu’il y a des inégalités de santé pour la communauté noire et les immigrants et il faut que les choses changent », soutient la médecin de famille et professeure à la faculté de médecine de l’Université d’Ottawa Marie-Hélène Chomienne.

En plus de la barrière linguistique, « le manque de sensibilité culturelle » des professionnels de la santé peut également affecter les soins de santé offerts aux patients, indique le médecin de famille et professeur au département de médecine familiale de l’Université d’Ottawa Jean A. Roy.

La Dre Chomienne souligne l’importance d’avoir davantage de professionnels de la santé étant eux-mêmes des minorités visibles et appelle le personnel médical à acquérir des connaissances sur diverses cultures. « On ne peut pas demander de tout connaître sur les cultures de tout le monde, mais je pense qu’il faut savoir approcher la personne en ayant une humilité culturelle. »

Pour sa part, le directeur Antoine Désilets demande aux institutions de santé de s’assurer que les informations soient toujours disponibles dans les deux langues officielles dans l’ensemble du Canada. Il invite par ailleurs les instances à documenter la langue officielle privilégiée par les patients pour adapter l’offre de services en conséquence.

En savoir plus
  • 9 033 190
    Population canadienne ayant une langue maternelle autre que le français ou l’anglais.
    Statistique Canada (2022)
    39 310
    Nombre de résidants de l’Ontario qui peuvent soutenir une conversation en français seulement
    Statistique Canada (2021)