Tout l’été, La Presse vous fait parcourir le Québec en vous racontant la vie des rivières. Des histoires humaines, scientifiques ou historiques qui ont toutes une rivière pour attache. Cette semaine : la rivière Romaine

L’hélicoptère survole la rivière Romaine avec 20 000 passagers à bord, tous impatients de rentrer au bercail. On n’a jamais vu des saumons – des milliers de minuscules alevins, dans ce cas-ci – remonter aussi rapidement un cours d’eau.

Ces poissons prennent l’hélico dans le cadre d’un projet d’ensemencement financé par Hydro-Québec pour compenser les conséquences écologiques du harnachement de la Romaine, réalisé à partir de 2009. Plus de 1 million d’alevins y ont été libérés dans les dernières années par la Société saumon de la rivière Romaine, chargée du programme.

  • Le bateau zodiac doit être héliporté.

    PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

    Le bateau zodiac doit être héliporté.

  • Les glacières remplies d’alevins sont transportées de l’hélicoptère vers le bateau zodiac.

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    Les glacières remplies d’alevins sont transportées de l’hélicoptère vers le bateau zodiac.

  • L’eau des glacières doit être à la même température que celle de la rivière.

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    L’eau des glacières doit être à la même température que celle de la rivière.

  • Jay-Penuen Ishpatao conduit l’embarcation dans laquelle a aussi pris place la biologiste Nadine Marois.

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    Jay-Penuen Ishpatao conduit l’embarcation dans laquelle a aussi pris place la biologiste Nadine Marois.

  • Jay-Penuen Ishpatao suit les berges pour permettre à la biologiste de choisir les sections les plus propices à la survie des saumons.

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    Jay-Penuen Ishpatao suit les berges pour permettre à la biologiste de choisir les sections les plus propices à la survie des saumons.

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« On en met beaucoup », confirme la biologiste Nadine Marois, après avoir transféré ses glacières remplies d’alevins vers un zodiac. Le bateau a lui aussi été héliporté sur une trentaine de kilomètres.

Il n’y a pas de route, ce n’est pas accessible. Il y a des chemins de quatre-roues, mais pas pour traîner un bateau.

Nadine Marois, biologiste

Une fois l’opération débutée, la méthode d’ensemencement contraste brutalement avec les outils complexes et coûteux déployés jusque-là : Mme Marois utilise une simple épuisette à aquarium pour placer les alevins dans l’eau de la rivière, une petite centaine à la fois. Elle doit d’abord s’assurer, à l’aide d’un thermomètre, que l’eau des glacières est sensiblement aussi froide que l’eau de la rivière. Un écart trop important pourrait infliger un choc thermique aux poissons.

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Les alevins sont libérés à l’aide d’une épuisette.

Aux commandes de l’embarcation, Jay-Penuen Ishpatao suit les berges pour permettre à la biologiste de choisir les sections les plus propices à la survie des saumons.

« Aussitôt qu’ils arrivent dans l’eau, ils nagent vers le fond et cherchent à se cacher », décrit-elle. Pour les deux ou trois prochaines années, les petits se déplaceront peu et se nourriront de plancton.

« Ils savent d’où ils proviennent »

Par moments, le zodiac semble perdu sur une rivière complètement vierge, sans trace d’activité humaine. Ce serait oublier les centaines de milliers de tonnes de béton qui ont été coulées en amont pour ériger quatre centrales hydroélectriques.

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Par moments, le zodiac semble perdu sur une rivière complètement vierge.

Un hydravion jaune passe au-dessus du cours d’eau. « Il y a du trafic ce matin ! », rigole Jay-Penuen Ishpatao, sans lâcher la barre. « C’est lundi ! », lui répond Nadine Marois du tac au tac.

Dans l’eau aussi, ça s’active. Depuis le début du chantier de construction, des équipes de biologistes planchent sur toute une gamme de projets en lien avec la protection du saumon et d’autres espèces affectées par les changements à leur rivière.

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Un grand filet permet de compter les saumons qui dévalent ou remontent la rivière.

Sur son chemin, l’hélicoptère a déjà survolé une équipe de travailleurs en salopettes imperméables qui luttent contre le courant pour installer un compteur. Objectif : compter les saumons qui dévalent ou remontent.

On a les codes d’ADN de tous les poissons qu’on met à l’eau. On a vu qu’il y a des femelles d’origine ensemencement qui sont remontées pour frayer. Donc, ça a fonctionné. C’est encourageant.

Nadine Marois, biologiste

La marche à suivre pour dévaler la rivière, rejoindre les eaux glaciales du nord de l’océan Atlantique, puis revenir frayer dans la Romaine est donc inscrite au plus profond de leur cerveau.

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Jay-Penuen Ishpatao tient un bocal rempli d’alevins.

« Ils savent d’où ils proviennent et où il faut qu’ils retournent », détaille la biologiste.

Car si les alevins n’ont jamais vu la rivière, leurs parents en proviennent : les géniteurs – capturés dans la Romaine – sont gardés dans un laboratoire de l’Université Laval. C’est de là que partent les milliers d’œufs confiés chaque automne à la station piscicole.

« Mes bébés »

Pour Pierre Desjardins, les journées d’ensemencement couronnent justement un travail de plusieurs mois. À la station piscicole installée près de l’embouchure de la Romaine, c’est lui qui veille sur les œufs de saumon, devenus alevins depuis la fin d’avril.

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Pierre Desjardins veille sur les œufs de saumon à la station piscicole installée près de l’embouchure de la Romaine.

L’homme de 62 ans s’est même installé un lit de camp afin de passer la nuit auprès d’eux en cas de besoin.

« Pas le choix, explique-t-il. Parfois, ils annoncent des tempêtes l’hiver. Si le système a une alarme pendant ce temps-là, je ne pourrai pas me rendre. » Parce que si les pompes qui assurent l’approvisionnement en eau de la rivière tombent en panne, les répercussions peuvent être catastrophiques.

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La rivière Romaine coule du Labrador au fleuve Saint-Laurent. Son embouchure se trouve près de Havre-Saint-Pierre.

M. Desjardins doit continuellement entretenir les tiroirs qui servent de couveuses aux œufs de saumon. Ils ne sont toutefois pas tenus au chaud, au contraire : l’hiver, l’eau de la rivière est tellement froide qu’elle gèlerait si elle n’était pas en circulation constante. L’homme se gèle continuellement les mains pour nettoyer les petits bassins, retirer et compter les œufs qui n’ont pas survécu, vérifier que tout le monde se porte bien.

« Ce sont mes bébés », justifie-t-il en riant.

L’attachement sentimental de M. Desjardins, ex-pêcheur de homard, a tout de même ses limites. Dans le frigo de la station piscicole, sa conjointe Lorraine lui a placé… un plat de saumon.

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  • 451 kilomètres
    C’est la longueur de la rivière Romaine, qui coule depuis le Labrador jusqu’au fleuve Saint-Laurent. Son embouchure se trouve près de Havre-Saint-Pierre.