(Kazabazua) Craig Gabie, conseiller de la petite municipalité de Kazabazua, en Outaouais, est aux Bahamas depuis l’hiver dernier, mais continue de toucher un salaire de conseiller, en toute légalité. Une absence qui soulève des questions éthiques, selon des villageois et une experte.

Craig Gabie documente son périple dans l’archipel tropical en publiant des reels (courtes vidéos) sur Facebook. Dans des images datées du 15 avril, on le voit pêcher dans des eaux turquoise, qui rappellent beaucoup plus la mer des Caraïbes que la rivière Gatineau.

Plus récemment, le 16 juin, il a partagé une vidéo où on le voit taquiner des requins avec sa famille. Il se serait posé sur l’île d’Eleuthera, selon nos recherches.

Craig Gabie serait aux Bahamas pour un « contrat de travail », selon le maire et le directeur général de la petite municipalité. Son absence lui a fait manquer les séances du conseil de février, de mars, d’avril, de mai et de juin.

Le maire de Kazabazua, Robert Bergeron, affirme que M. Gabie est enseignant et qu’il a été appelé « pour aider » aux Bahamas, sans préciser la nature de cette aide.

« Ça n’a aucun impact qu’il soit là ou non », a pour sa part déclaré le directeur général de la municipalité, Pierre Vaillancourt. « On peut runner à cinq conseillers. »

Comme dans beaucoup de petites municipalités, le conseil est formé de six conseillers qui ne représentent pas un district électoral spécifique, mais l’ensemble des Kazabazuiens.

Même s’il n’est plus au pays depuis plusieurs mois, il continue tout de même à être payé 427 $ par mois – le salaire de base pour un conseiller à Kazabazua – en plus de toucher une allocation mensuelle de 230 $.

Dans les procès-verbaux des cinq dernières séances du conseil, les absences de M. Gabie ont toutes porté la mention « Motivée ». Cette mention apparaît avec presque toutes les absences d’élus depuis 2017, à Kazabazua. Durant cette période, neuf absences seulement n’ont pas porté cette mention : elles concernaient toutes M. Gabie.

Selon Danielle Pilette, professeure agrégée à l’Université du Québec à Montréal (UQAM) et experte en éthique des élus municipaux, M. Gabie se doit a priori d’avoir une bonne raison pour expliquer une absence aussi longue du territoire qu’il sert. « Ça pose une grosse question », dit-elle, stupéfaite.

Craig Gabie a été élu conseiller pour la première fois en 2017, sans opposition, avant d’être réélu de la même manière en 2021.

« Pas de préjudice »

La Loi sur les élections et les référendums dans les municipalités prévoit qu’un élu qui est absent aux séances du conseil pendant 90 jours consécutifs voit son mandat automatiquement prendre fin. Le mandat de M. Gabie aurait donc dû normalement se terminer à la clôture de la séance du conseil du mois de mai.

Or, l’article 317 de cette loi prévoit aussi qu’un conseil municipal peut accorder « un délai de grâce de 30 jours » à un élu qui n’aurait pas pu assister aux séances pendant ces 90 jours1. Cette grâce s’ajoute après l’expiration des 90 jours, si le conseil en décide ainsi.

C’est ce délai de grâce que le conseil de Kazabazua a accordé à M. Gabie, lors de la séance du mois de mai. S’il s’était présenté à la séance de juin, il aurait donc vu son compteur de temps se réinitialiser et aurait évité – pour la deuxième fois – la fin automatique de son mandat.

Mais M. Gabie n’était pas non plus à la séance du 4 juin. Lors de cette séance, le conseil a cependant encore utilisé une autre disposition de l’article 317, soit l’adoption d’un décret qui précise que les absences d’un élu n’entraînent pas la fin de son mandat, permettant à M. Gabie de rester à l’étranger.

Selon l’article 317, il faut toutefois que les absences de l’élu soient dues « à un motif sérieux et hors de son contrôle » et qu’elles ne causent « aucun préjudice aux citoyens ».

Même le conseiller du siège n1, Paul Chamberlain – qui n’a pas parlé du reste de la séance –, a pris la peine de demander, en anglais, si l’absence prolongée du conseiller Gabie et l’adoption d’un tel décret étaient légales, considérant la durée du voyage de son collègue.

Le décret a été adopté à l’unanimité par le conseil.

« La loi le permet »

À la fin de la séance, un citoyen en a fait le sujet de sa question au maire, lui demandant s’il « ne trouvait pas ça anormal » de payer un conseiller qui n’est pas présent depuis plusieurs mois, alors que les autres « se donnent la peine d’être là ». C’est le directeur général, Pierre Vaillancourt, assis au centre des élus, qui a pris la balle au bond, expliquant simplement que « la loi le permet ».

« Le monsieur [Craig Gabie] est quand même participatif », a ensuite lancé le conseiller Damien Lafrenière, assis le plus près du micro des questions, à qui le citoyen, incrédule, a donc immédiatement demandé : « Comment ? Il n’est pas là ? ». Il n’a pas obtenu de réponse.

M. Vaillancourt a alors fait un parallèle entre la situation de M. Gabie et celle d’un conseiller qui serait à l’hôpital, comme deux exemples de motifs « hors du contrôle » d’un élu.

Par téléphone, il a également dit que M. Gabie « devrait être là au mois de juillet », ajoutant que « ça se pourrait qu’il reste par après », pour justifier sa décision de ne pas le remplacer.

La prochaine séance du conseil municipal de Kazabazua aura lieu ce mardi 2 juillet, au centre communautaire.

La Presse n’a pas réussi à joindre Craig Gabie, malgré plusieurs tentatives. Il ne possède pas de numéro de téléphone de fonction ni d’adresse courriel professionnelle.

1. Consultez l’article 317 de la Loi sur les élections et les référendums dans les municipalités