Des 36 962 électeurs qui ont voté à l’élection partielle de Toronto–St. Paul’s, aucun n’a fait une croix à côté du nom du candidat indépendant Félix-Antoine Hamel.

Ce qu’il faut savoir

  • Le comité pour le plus long bulletin de vote présente des candidats indépendants lors de scrutins complémentaires en 2022 (Ontario), en 2023 (Manitoba et Ontario) et en 2024 (Ontario).
  • Aucun n’est élu.
  • Lors de l’élection du 24 juin 2024, dans la circonscription de Toronto–St.-Paul’s, Élections Canada attribue à ce groupe les délais du dépouillement.
  • Avec 84 candidats au total dans cette circonscription, il s’agit d’un nouveau record de candidatures dans l’histoire des élections canadiennes.

À l’autre bout du fil, le musicien de jazz de Montréal éclate de rire lorsqu’on lui parle de son résultat.

« Moi, je suis très content ! C’est rigolo. Et quand j’ai su que j’avais zéro vote, j’ai dit : “Je suis le candidat de l’unité, personne n’est contre moi !” », ironise-t-il.

« On rit un peu, mais en même temps, je pense que c’est intéressant, parce que ça met de l’avant un sujet qui est sérieux : la réforme électorale », enchaîne Félix-Antoine Hamel.

L’enjeu de la réforme électorale est au cœur de la démarche du comité pour le plus long bulletin de vote (Longest Ballot Committee). Au total, le groupe a aidé 77 candidats à inscrire leur candidature dans la circonscription torontoise.

« C’est une manière amusante de s’impliquer et d’éduquer les gens sur le fonctionnement de notre système électoral », plaide Kieran Szuchewycz, l’agent officiel de l’ensemble de ces candidats.

« Lorsque nous recueillons des signatures, les gens trouvent toujours la démarche hilarante », assure l’homme de Winnipeg, un assistant juridique.

L’ancien directeur général d’Élections Canada Jean-Pierre Kingsley est loin de trouver l’initiative comique.

« Les gens qui font ça trouvent peut-être que c’est brillant… ça ne l’est pas », lance-t-il dans un entretien.

« Si on veut changer le système, c’est pour davantage favoriser l’électeur, et ces méthodes font exactement le contraire », car cela « alimente la confusion chez ce dernier », poursuit-il.

Et c’est sans compter le fait qu’une liste « déraisonnable » de candidats « rend complexe le décompte des bulletins de vote », insiste Jean-Pierre Kingsley.

Un dénombrement complexe

Le dépouillement a d’ailleurs été laborieux dans la circonscription de Toronto–St. Paul’s. Le délai entre la fermeture des bureaux de vote et l’annonce des résultats a été d’environ huit heures.

« Nous sommes encore en train d’évaluer comment s’est déroulée l’élection partielle », a écrit le porte-parole d’Élections Canada, Matthew McKenna.

« Comme nous le faisons après chaque élection partielle, nous publierons un rapport qui parlera de ce qui a bien fonctionné et des points à améliorer », a-t-il aussi indiqué.

Dans un rapport sur l’élection complémentaire de Mississauga–Lakeshore, en 2022, l’organisme indépendant a relevé le « nombre exceptionnellement élevé » de 34 candidatures, un « record » à l’époque.

La majorité d’entre eux ayant le même agent officiel, cela soulevait « la question de savoir [s’ils] briguaient réellement les suffrages de leur propre chef », est-il écrit dans le même document.

« Je pense qu’Élections Canada essaie très fort de laisser entendre que ce que nous faisons est mal. Ça ne l’est pas », réagit Kieran Szuchewycz.

Légal contre légitime

Kieran Szuchewycz n’en est pas à sa première incursion en terrain électoral. En 2017, il décroche une victoire – pas aux urnes, mais devant un tribunal.

La Cour du banc de la Reine de l’Alberta lui donne gain de cause, abrogeant le dépôt obligatoire de 1000 $, au motif que cet impératif était inconstitutionnel⁠1.

Le gouvernement fédéral n’ayant pas fait appel de la décision, la disposition a maintenant force de loi.

D’élection partielle en élection partielle, les candidatures indépendantes ont donc fleuri en toute légalité, dans le respect des autres critères, dont l’obtention de signatures d’au moins 100 électeurs de la circonscription.

« Ce qu’ils font présentement, c’est légal. Mais ce n’est pas légitime », tranche Jean-Pierre Kingsley.

Il suggère une prompte modification législative, s’inquiétant de voir le même phénomène se reproduire lors de la prochaine élection générale, qui devrait avoir lieu quelque part l’an prochain.

À ce sujet, Kieran Szuchewycz ne pipe mot, sauf pour dire « on verra ».

Il mentionne cependant que les élections partielles constituent des moments plus propices pour susciter un débat sur l’enjeu du mode de scrutin que des élections générales.

PHOTO FOURNIE PAR LE CANDIDAT

Félix-Antoine Hamel, candidat indépendant dans la circonscription de Toronto–St Paul’s.

« C’est sûr que s’il y avait 84 noms sur chaque bulletin de vote, ça pourrait être compliqué », commente de son côté Félix-Antoine Hamel.

À Toronto–St. Paul’s, le député conservateur Don Stewart a eu le dessus sur sa rivale libérale Leslie Church, avec 590 voix d’avance.

Ensemble, les candidats indépendants du comité pour le plus long bulletin de vote ont amassé plus de 1000 votes.

Le premier ministre Justin Trudeau s’était engagé lors de la campagne électorale de 2015 à réformer le mode de scrutin.

Il a rompu cette promesse en 2017 et a par la suite reconnu qu’il aurait dû spécifier que sa préférence était le mode de scrutin préférentiel, et non proportionnel.

1. Lisez l’article « Alberta court rules $1,000 deposit requirement for federal election candidates is unconstitutional » (en anglais)