(Ottawa) « Ce n’est pas le résultat que nous souhaitions », a euphémisé Justin Trudeau au lendemain de la déconfiture libérale dans un château fort de Toronto. Dans le camp des conquérants, on estime que la prise de ce bastion milite en faveur du déclenchement d’une élection générale.

Ce qu’il faut savoir

  • Les conservateurs ont remporté une victoire serrée dans une circonscription de Toronto qui était dans le giron libéral depuis 1993.
  • Le premier ministre Justin Trudeau a concédé que le résultat était décevant, et a assuré avoir entendu les « frustrations » de l’électorat.
  • Selon des observateurs, la défaite dans ce fief libéral est de mauvais augure pour les prochaines élections générales.

Les libéraux – et les sondeurs, et les observateurs – s’attendaient à une courte victoire libérale.

Les conservateurs doutaient d’être en mesure de réaliser l’exploit.

Après un long dépouillement, au petit matin, mardi, le résultat est tombé – comme la forteresse libérale de Toronto–St. Paul’s, qui s’est écroulée après avoir battu pavillon rouge pendant trois décennies.

Le conservateur Don Stewart a ainsi eu le dessus sur Leslie Church par 590 voix (42,1 % contre 40,5 % des suffrages exprimés), après avoir tiré de l’arrière plusieurs heures durant.

PHOTO TIRÉE DU SITE DU PARTI CONSERVATEUR DU CANADA

Don Stewart

Son triomphe dans la circonscription urbaine du « 416 » a galvanisé les troupes conservatrices

« Voici le verdict : Justin Trudeau ne peut plus continuer comme ça. Il doit déclencher une élection sur la taxe carbone dès maintenant », a écrit le chef Pierre Poilievre sur le réseau X.

PHOTO CHRISTINNE MUSCHI, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Pierre Poilievre

Plusieurs de ses députés l’ont imité. « C’est le temps d’appeler les Canadiens à voter pour du changement ! », a notamment écrit Luc Berthold.

Justin Trudeau s’accroche

Le premier ministre a convenu que la raclée était douloureuse. « Ce n’est évidemment pas le résultat que nous souhaitions, mais je tiens à dire clairement que j’entends vos préoccupations et vos frustrations », a-t-il soutenu dans une déclaration relayée par son bureau.

« Il est clair que moi et toute mon équipe libérale avons encore beaucoup de travail à faire pour réaliser des progrès tangibles et réels que les Canadiens peuvent voir et ressentir », a-t-il ajouté.

PHOTO CHRIS YOUNG, LA PRESSE CANADIENNE

La libérale Leslie Church s’adressant à ses troupes en cours de soirée. Elle était en voie d’être élue dans Toronto – St. Paul’s à ce moment.

Justin Trudeau a répété le message transmis par son cabinet presque mot pour mot, en marge d’une annonce à Vancouver. Il ne s’est pas adressé aux médias sur place.

Et en dépit de ce camouflet électoral, le premier ministre n’a manifesté aucune intention de jeter l’éponge.

Il a, en tous les cas, la confiance de la vice-première ministre Chrystia Freeland. « Il ne doit pas quitter », a-t-elle déclaré en point de presse à Toronto.

« Oui, je suis déçue par les résultats. On doit les prendre au sérieux, et on le fait », a ajouté celle qui est aussi ministre des Finances, qui représente une circonscription limitrophe de Toronto – St. Paul’s.

D’autant plus que le taux de participation a été tout sauf anémique, dans le contexte d’une élection partielle : il s’est établi à 43,5 %, d’après les données préliminaires d’Élections Canada.

Appui de la communauté juive

À en croire des données de la firme de sondages Mainstreet Research, le vote de la communauté juive aurait possiblement fait pencher la balance en faveur des conservateurs.

Selon l’enquête⁠1 réalisée auprès d’un « petit échantillon » après le vote par anticipation, 62,6 % des électeurs de confession juive se seraient rangés derrière Don Stewart, contre 20,7 % pour Leslie Church.

La circonscription compte la cinquième plus grande proportion de résidants juifs au pays, avec 15 %, selon les données du recensement de 2021.

Un dangereux revirement de situation

Mais au-delà des chiffres, ce qui est certain, c’est qu’un sérieux examen de conscience s’impose, juge Jeremy Ghio, ancien stratège chez les libéraux fédéraux et québécois.

« Ce comté-là a traversé les crises libérales des 30 dernières années. Le scandale des commandites, la vague orange de Jack Layton, le gouvernement majoritaire de Stephen Harper », souligne-t-il.

La leçon à tirer de la contre-performance, c’est que « les résultats pourraient être encore plus catastrophiques qu’en 2011 [aux prochaines élections générales] », tranche-t-il.

Une déconfiture dans cette circonscription jugée des plus sûres fait craindre pour les autres, abonde l’expert en sondages Philippe J. Fournier, créateur du site 338Canada.

« Si un tel swing arrive à Toronto, la moitié de Toronto pourrait devenir bleue [conservateur]. Et là, on rentre dans une zone assez dangereuse pour les libéraux », avance-t-il.

Une zone périlleuse qui pourrait reléguer le Parti libéral au rôle de deuxième opposition.

« Avec le Bloc québécois qui performe assez bien, si les libéraux ont un tel résultat à l’élection générale, ils finissent troisièmes et [le chef bloquiste] Yves-François Blanchet est chef de l’opposition », dit-il.

Le prochain scrutin n’est pas prévu avant octobre 2025.

D’ici là, une autre élection partielle est au programme : les électeurs de LaSalle–Émard–Verdun doivent être convoqués aux urnes d’ici le 30 juillet prochain.

La circonscription montréalaise est orpheline de député depuis la démission de l’ancien ministre David Lametti, en février dernier.

1 Consultez des extraits de l’enquête de Mainstreet Research (en anglais)