(Ottawa) Après son élection à la présidence de la Chambre des communes, Greg Fergus avait demandé aux députés de le traiter comme ils le feraient avec une voiture neuve pour éviter de l’égratigner. Il y a maintenant quelques éraflures sur la carrosserie, concède-t-il. Ses neuf premiers mois en poste ont été marqués par des appels à sa démission et des tentatives pour défier son autorité. Mais il a également fait l’histoire en devenant le premier Noir à accéder à cette importante fonction.

« Vous savez, c’était beaucoup plus symbolique que j’aurais pensé », avoue-t-il, étonné par le retentissement de sa nomination. « C’est important pour la communauté noire de se voir… pour toutes les communautés racisées, constate-t-il. C’est un autre plafond de verre qu’on vient de briser. »

Il laissera sa marque à sa façon en créant une nouvelle tradition inspirée des origines caribéennes de ses parents : un rhum s’ajoutera au scotch et au whisky officiels servis lors des évènements protocolaires1. Il garde le secret sur la marque choisie par les élus qui doit être dévoilée ultérieurement.

Greg Fergus est connu pour sa bonne humeur contagieuse dans les couloirs du Parlement et c’est avec un large sourire qu’il nous reçoit dans son bureau aux murs parsemés d’anciens volumes du hansard, le journal des débats de la Chambre des communes. Il prenait plaisir à lire ces comptes rendus qu’il recevait par la poste à l’âge de 14 ans.

« C’était très nerd, je l’admets volontiers », s’exclame-t-il en riant.

Climat tendu et controverses

Ce poste qu’il croyait inaccessible est soudainement devenu vacant après la démission d’Anthony Rota à la suite de l’incident diplomatique causé par l’ovation à un ancien combattant nazi au Parlement. M. Fergus a accédé au fauteuil du président en octobre dans un climat tendu et empreint de partisanerie mesquine.

« Je savais que ça allait être difficile », admet le député libéral de Hull-Aylmer.

Les appels à sa démission ont résonné deux mois après son entrée en poste et ont retenti de nouveau le mois dernier à la suite de deux incidents, l’un pour lequel il a dû s’excuser et l’autre où il a reçu les excuses du Parti libéral du Canada.

Il a d’abord lui-même déclenché la controverse en enregistrant, dans ses habits de président, une vidéo en hommage à John Fraser, un ami de longue date, qui s’apprêtait à quitter la tête du Parti libéral de l’Ontario. La vidéo, qui devait être privée, a été diffusée durant le congrès à la direction. Or, l’arbitre des débats parlementaires se doit d’être neutre.

« Vous savez, c’était une erreur, reconnaît-il. […] On apprend. »

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

Un portrait du premier ministre du Royaume-Uni, Winston Churchill, croqué lors de sa visite en 1941, est accroché dans le bureau de Greg Fergus.

Ensuite, le Parti libéral a publié à son insu une invitation à une soirée destinée aux militants de sa circonscription qui dénonçait les « politiques irréfléchies » du chef conservateur Pierre Poilievre. C’était quelques semaines après qu’il l’eut expulsé de la Chambre des communes parce qu’il avait traité le premier ministre Justin Trudeau de « cinglé » et d’« extrémiste ».

Deux des quatre partis reconnus à la Chambre des communes –  le Parti conservateur et le Bloc québécois – ont clamé haut et fort qu’ils n’avaient plus confiance en lui, mais une majorité de députés continuent de l’appuyer.

Si je peux retourner à l’analogie d’un arbitre dans un match de hockey, on est en train de juste travailler le ref un petit peu. Ça ne fonctionne pas. Toutes mes décisions ont été prises dans les meilleures traditions du Parlement. […] Il n’y a aucune partialité.

Greg Fergus, président de la Chambre des communes

Même celle d’expulser le chef de l’opposition officielle lorsqu’il a refusé de retirer ses propos non parlementaires à l’égard du premier ministre. « Ce n’est pas quelque chose que j’aimerais répéter », reconnaît-il.

« Ce que je cherche, c’est que les députés se gouvernent mieux, qu’ils trouvent le droit chemin pour exprimer leurs idées pointues, passionnées, importantes, mais dans le cadre de ce qui est acceptable dans le contexte parlementaire. »

Rehausser le débat

S’il peut sévir contre le langage non parlementaire, les pouvoirs du président sont limités pour forcer le gouvernement à offrir de réelles réponses aux questions des partis d’opposition. Le règlement ne lui permet pas d’agir pour rehausser leur qualité lors de la période des questions, mais il affirme avoir donné des avertissements à trois reprises au gouvernement pour élever la qualité des réponses inscrites au feuilleton.

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

Le président de la Chambre des communes, Greg Fergus

Les députés ne peuvent pas faire leur travail s’ils ne reçoivent pas les réponses exactes, alors il faut que les gens qui préparent ces réponses-là soient beaucoup plus sensibles à cette question.

Greg Fergus, président de la Chambre des communes

Son mandat a été ponctué par un deuxième moment historique, celui de la réprimande donnée à Kristian Firth, l’un des deux associés de la firme GC Strategies, appelé à comparaître à la barre de la Chambre des communes. Cela ne s’était pas produit depuis 1913.

L’exercice « aurait pu déraper facilement », mais il est important, pour envoyer le message, que les gens convoqués par les comités parlementaires aient l’obligation de répondre à leurs questions « honnêtement » sinon il y a des conséquences.

« Nous avons des pouvoirs extraordinaires en tant que députés, en tant que Parlement. Honnêtement, il n’y a pas de limites à nos pouvoirs, alors il faut les exercer avec beaucoup de jugement, de bon sens, explique-t-il. Et je trouve que ça, c’est un bel exemple où le Parlement a vraiment répondu aux attentes et a été digne de l’occasion. »

Il accrochera sa toge jusqu’à la reprise des travaux parlementaires le 16 septembre, mais profitera de cette accalmie pour effectuer des tâches administratives – le président de la Chambre des communes supervise le travail de 2500 employés – et aller à la rencontre des citoyens de sa circonscription.

1. Le scotch officiel servi lors des évènements protocolaires est le Laphroaig Quarter Cask Single Malt ; le whisky officiel est le whisky canadien de la distillerie Dunrobin.