(Ottawa) Le ministre fédéral de la Justice, Arif Virani, affirme qu’il ne sort jamais sans son dispositif de « téléassistance géolocalisée ». Et il ne se déplace pas sans informer au préalable quelqu’un de son entourage, même lorsqu’il participe à des évènements publics.

De plus, M. Virani n’est pas seulement accompagné d’une équipe de sécurité du ministère de la Justice, mais également d’une équipe distincte à la Chambre des communes.

« On est malheureusement rendus là dans la société canadienne en ce moment », laisse tomber le ministre Virani dans une entrevue accordée mercredi, alors que les députés s’apprêtaient à quitter la colline du Parlement pour la pause estivale.

Ce qui est encore plus choquant, c’est que ce ne sont pas seulement les ministres qui doivent faire tout ça : j’ai beaucoup de collègues féminines qui le font, depuis plus d’un an.

Arif Virani, ministre fédéral de la Justice

Bien que le ministre Virani ait déclaré qu’il souhaiterait que les choses soient différentes, il n’est pas disposé à souscrire à la récente suggestion du patron de la Gendarmerie royale du Canada (GRC), qui souhaitait qu’Ottawa permette aux policiers de porter plus facilement des accusations contre les personnes qui menacent des élus.

« Je crois qu’il existe actuellement des outils solides, notamment dans le Code criminel », a estimé M. Virani, ajoutant que le gouvernement fédéral fournissait déjà à la police les ressources nécessaires pour faire son travail. « Je pense qu’une combinaison des deux est […] suffisante pour résoudre ce qui se passe actuellement. »

Le mois dernier, dans une entrevue à La Presse Canadienne, le commissaire de la GRC, Mike Duheme, exprimait ses inquiétudes concernant l’augmentation des menaces proférées contre des élus. Il soutenait qu’en vertu des lois canadiennes actuelles, le comportement d’un individu ne satisfait souvent pas au seuil requis pour porter une accusation.

M. Duheme espérait que les ministères de la Sécurité publique et de la Justice travaillent avec la GRC sur la possibilité de créer une nouvelle disposition dans le Code criminel pour résoudre ce problème croissant.

Les menaces visent souvent des femmes

Un rapport des services de renseignement soulignait récemment comment des rhétoriques extrémistes liées à des doléances personnelles – et alimentées par des mensonges purs et simples et de la désinformation facilement diffusés en ligne – ont « de plus en plus normalisé » les menaces contre les politiciens. Le rapport soulignait aussi que les discours violents étaient souvent dirigés contre des femmes publiques.

La députée libérale ontarienne Pam Damoff a annoncé qu’elle ne serait pas candidate aux prochaines élections en raison des menaces et du harcèlement auxquels elle a dû faire face. Un nombre croissant de députés, dont la cheffe adjointe des conservateurs, Melissa Lantsman, ont été vus avec une protection rapprochée sur la colline du Parlement.

En avril dernier, une poignée de manifestants sont venus devant le domicile de M. Virani à Toronto pour protester contre la réponse de son gouvernement à la guerre entre Israël et le Hamas. Le ministre a condamné ces actes, affirmant que sa femme et ses deux fils « ne méritaient pas d’être harcelés ».

La police de Toronto, qui savait que des manifestants étaient dans le secteur depuis un petit moment, a déclaré qu’aucune arrestation n’avait été effectuée.

Des manifestations propalestiniennes ont également eu lieu devant la résidence de la ministre des Affaires étrangères, Mélanie Joly, à Montréal, suscitant des critiques de la part de députés de tous bords, qui ont estimé qu’un tel comportement dépassait les limites.

Le ministre Virani a rappelé cette semaine son message au commissaire Duheme : le gouvernement est toujours ouvert aux suggestions pour relever plus efficacement les défis auxquels la police est confrontée dans ce dossier.

Une approche consiste à augmenter les unités chargées des crimes haineux contre les élus et les citoyens, estime le ministre. « Il n’y en a pas autant qu’il le faudrait. »

M. Virani cite également certaines dispositions du projet de loi sur les préjudices en ligne, promis depuis longtemps, qui obligeraient les « géants du web » à en faire davantage pour réduire sur leurs plateformes les préjudices auxquels les utilisateurs sont exposés.

Le projet de loi prévoit également des sanctions plus sévères pour les crimes à caractère haineux – des mesures qui, selon des groupes de la société civile et des juristes, pourraient miner la liberté d’expression. Le ministre Virani estime de son côté que ces mesures sont nécessaires pour empêcher la haine en ligne de se transformer en violence physique.

« J’estime que ce projet de loi constitue une réponse globale pour traiter les causes profondes de ce qui cause les inquiétudes que soulevait » le commissaire Duheme.

Les Communes ont ajourné leurs travaux mercredi sans avoir fait beaucoup de progrès sur ce projet de loi, qui n’a pas encore été envoyé en comité pour examen, bien qu’il ait été déposé il y a près de quatre mois en Chambre.