(Ottawa) Après avoir longtemps résisté, le gouvernement Trudeau a inscrit le Corps des gardiens de la révolution islamique (CGRI) à la liste des entités terroristes du Canada. Tout en se disant soulagé de voir enfin les libéraux sévir, un représentant de la communauté iranienne avertit que les paroles ne suffiront pas – les résultats devront suivre.

Le ministre fédéral de la Sécurité publique Dominic LeBlanc a annoncé mercredi l’ajout de cette entité à la liste noire du gouvernement canadien, dans ce qui devrait être la dernière journée des travaux parlementaires avant la pause estivale.

L’inscription envoie « un message clair » au régime iranien – le gouvernement du Canada « utilisera tous les outils à sa disposition pour lutter contre les activités terroristes du CGRI », a-t-il déclaré aux côtés de la ministre des Affaires étrangères, Mélanie Joly.

Celle-ci a insisté sur le fait que cette décision n’était pas sans conséquence, notamment en ce qui a trait aux risques de détention arbitraire. Celui-ci est dorénavant « beaucoup plus élevé pour les Canadiens qui iraient en Iran ou alors pour tous ceux et celles qui sont en Iran ».

Selon Affaires mondiales Canada, 1609 personnes sont inscrites au registre des Canadiens en Iran. Il s’agit là d’une estimation, l’inscription étant volontaire. Le Canada n’a pas d’ambassade en Iran depuis la fermeture de la mission diplomatique sous le gouvernement de Stephen Harper en 2012.

« Le gouvernement doit agir maintenant »

Les libéraux ont longtemps résisté à cette demande maintes fois formulée par la communauté iranienne du Canada, surtout depuis l’écrasement du vol PS752, abattu par le régime iranien alors qu’il venait de décoller de l’aéroport de Téhéran, le 8 janvier 2020.

Le Montréalais Armin Morattab a perdu son frère jumeau, Arvin, et sa belle-sœur, Aida Farzaneh, dans cette tragédie aérienne.

Il a été « très heureux » d’apprendre que le Code criminel sera mis à profit pour démontrer que « le Canada n’est pas un refuge sûr pour les agents du CGRI ». Et de son côté, la communauté irano-canadienne « se sentira davantage en sécurité », croit-il.

Mais il n’entend pas se contenter de paroles. « Les familles des victimes du vol PS752 vont surveiller de près la mise en exécution de cette décision. Le gouvernement doit agir maintenant », argue Armin Morattab à l’autre bout du fil.

Un geste électoraliste, selon les conservateurs

Le Parti conservateur réclame cette mesure à cor et à cri depuis plusieurs années.

La formation avait d’ailleurs vraisemblablement eu vent du projet libéral.

Car mardi, aux Communes, la cheffe conservatrice adjointe, Melissa Lantsman, a avancé qu’il s’agissait d’un geste électoraliste, alors qu’une élection complémentaire se profile à l’horizon lundi prochain.

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La députée conservatrice Melissa Lantsman

La circonscription où se tient ce scrutin partiel, Toronto—St. Paul’s, compte la cinquième plus grande proportion de résidents juifs au pays, avec 15 %, selon les données du recensement de 2021.

Il s’agit d’un château fort libéral, mais la lutte promet d’y être serrée.

Les conservateurs ont d’ailleurs lancé un appel à la communauté juive.

Dans une lettre obtenue par La Presse canadienne, Melissa Lantsman a invité les électeurs juifs à se rendre aux urnes pour envoyer à Justin Trudeau « un message sur sa trahison envers notre communauté juive ».

Pas une décision politique, dit LeBlanc

Le ministre LeBlanc s’est défendu d’avoir agi pour des motifs politiques.

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Le ministre de la Sécurité publique, Dominic LeBlanc

La décision, a-t-il insisté, a été prise en suivant les recommandations des agences de renseignement comme le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS).

« Elle n’est pas basée sur des commentaires faits sur Twitter [X] ou à la période des questions », a-t-il plaidé.

Au Parti conservateur, on a dénoncé la lenteur libérale à agir.

Ce délai a permis au CGRI de « se renforcer […] tout en terrorisant d’innombrables Irano-Canadiens qui ont fui au Canada » pour échapper au bras armé de Téhéran, a déploré le député Michael Chong.

Il a rappelé que le gouvernement libéral avait appuyé une motion conservatrice demandant cette inscription en 2018.

Le Centre consultatif des relations juives et israéliennes (CIJA) s’est réjoui de la sanction gouvernementale, et demande « instamment au gouvernement de veiller à ce que cette désignation soit rapidement suivie de mesures concrètes visant à perturber les réseaux du CGRI ».

L’ambassade d’Israël au Canada a aussi fait part de sa satisfaction.

Une mesure complexe

Des experts ont souligné dans le passé les défis de faire respecter ce type de sanction.

Désigner le CGRI comme entité terroriste imposerait aux agences de renseignement canadiennes un fardeau colossal, selon ce qu’a indiqué Thomas Juneau, professeur agrégé en Affaires publiques et internationales de l’Université d’Ottawa, en septembre 2022.

« La tâche des agences de renseignement serait énorme. Leur capacité à contrôler toutes les sanctions que le Canada a imposées est déjà débordée », avait souligné le spécialiste de la politique iranienne et de sécurité nationale.