(Ottawa) Un éventuel gouvernement conservateur continuerait d’appuyer l’interdiction du recours à des travailleurs de remplacement lors d’une grève dans les lieux de travail sous réglementation fédérale, a assuré mardi le cabinet du chef Pierre Poilievre.

Le projet de loi, qui doit devenir loi après avoir été adopté au Sénat lundi soir, était un élément clé du pacte politique entre les libéraux et les néo-démocrates. Il avait obtenu un soutien unanime à la Chambre des communes le 27 mai, après que les conservateurs ont décidé de l’appuyer – ils avaient attendu jusqu’au moment du vote pour ouvrir leur jeu.

Le cabinet de M. Poilievre a confirmé mardi que cette mesure ne serait pas éliminée si les conservateurs forment le prochain gouvernement.

« Les conservateurs de bon sens ont soutenu le projet de loi C-58, nous continuons de le soutenir, et un futur gouvernement conservateur le soutiendra », a assuré mardi son porte-parole, Sebastian Skamski.

« Pierre Poilievre est le seul à écouter et à parler aux travailleurs canadiens dans les usines et dans les assemblées syndicales d’un océan à l’autre, et les conservateurs forment le seul parti qui rapportera des chèques de paie plus importants aux travailleurs. »

M. Poilievre présente le Parti conservateur comme le « parti de la classe ouvrière », même si les dirigeants syndicaux dénoncent son bilan en Chambre par le passé.

« Imposteur »

Bea Bruske, présidente du Congrès du travail du Canada, a profité d’une réunion de dirigeants syndicaux en avril pour le qualifier d’« imposteur », enjoignant les participants à le « dénoncer » avant les prochaines élections fédérales.

Dans une déclaration mardi, Mme Bruske a rappelé que ses députés avaient récemment voté contre la Loi sur les emplois durables et qu’ils s’opposent à l’augmentation par le gouvernement du taux d’inclusion des gains en capital – un générateur de recettes fiscales que les libéraux vendent comme un moyen de demander aux riches d’aider à payer les services et les programmes qui profitent aux jeunes générations.

PHOTO JUSTIN TANG, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Bea Bruske, présidente du Congrès du travail du Canada

« Je salue le soutien unanime à la loi anti-briseurs de grève, mais je vais me battre comme un diable pour construire le même consensus derrière d’autres mesures qui amélioreraient la vie des travailleurs au Canada », a-t-elle déclaré.

M. Poilievre a tenté de transformer les modifications de l’impôt sur les gains en capital en une bataille contre les augmentations d’impôts, affirmant que la décision des libéraux de tenir un vote sur les modifications deux mois après l’annonce de la mesure dans le budget 2024 offrait une fenêtre aux « Canadiens les plus riches » pour vendre leurs actifs avant l’échéance. Or, les changements devaient toujours entrer en vigueur le 25 juin prochain.

M. Skamski a fustigé mardi le premier ministre Trudeau pour avoir « trompé » les travailleurs avec ce qu’il a appelé « des impôts punitifs ». Il a aussi déclaré que le chef néo-démocrate, Jagmeet Singh, avait « trahi » les travailleurs en concluant une entente de soutien et de confiance avec les libéraux.

Dans une déclaration, le porte-parole néo-démocrate en matière de travail, Matthew Green, a déclaré que les antécédents publics de M. Poilievre démontraient qu’il avait voté huit fois contre les précédents projets de loi anti-briseurs de grève, ajoutant que sous l’ancien gouvernement conservateur de Stephen Harper, il était également favorable à l’augmentation de l’âge de la retraite à 67 ans.

« Peu importe combien de fois il le dit et peu importe combien il fait semblant, Pierre Poilievre n’est pas l’ami des travailleurs », a déclaré M. Green.

Victoire pour les pouvoirs de négociation

Le Congrès du travail du Canada et d’autres dirigeants syndicaux au pays rappellent souvent que M. Poilievre avait appuyé une loi spéciale de retour au travail la dernière fois que les conservateurs ont été au pouvoir et qu’il a déjà plaidé pour que les employés soient autorisés à se retirer d’un syndicat.

Le projet de loi « anti-briseurs de grève » adopté lundi au Parlement a été salué par les dirigeants syndicaux, qui ont qualifié ces changements de victoire pour la protection des travailleurs et leur pouvoir de négociation.

Il prévoit une amende pouvant aller jusqu’à 100 000 $ par jour pour les employeurs dans les secteurs sous réglementation fédérale qui auraient recours à des travailleurs de remplacement lors d’une grève.

Mais la Chambre de commerce du Canada prévient que les petites entreprises et les familles qui dépendent des services essentiels fournis par les secteurs sous réglementation fédérale pourraient en souffrir lors d’une grève.

Les industries et milieux de travail « sous réglementation fédérale » comprennent bien sûr le secteur public et les sociétés d’État fédérales, comme la poste, mais aussi des entreprises privées dans les secteurs des transports, des institutions financières et des télécommunications.

Le gouvernement libéral avait accepté que la nouvelle loi entre en vigueur 12 mois après la sanction royale, plutôt que 18 mois – un délai tout de même déploré par le Bloc québécois et les syndicats.

Le ministre fédéral du Travail, Seamus O’Regan, a expliqué ce retard en affirmant que les négociateurs en relations de travail avaient besoin de temps pour se préparer à la mise en œuvre de cette loi.

« C’est un très grand moment, a-t-il dit aux journalistes mardi avant la réunion hebdomadaire du cabinet libéral. Il s’agit d’un changement tellement fondamental dans les négociations dans le secteur privé » sous réglementation fédérale.

Au Québec, des modifications au Code du travail adoptées en 1977 empêchent un employeur sous réglementation provinciale de faire appel à des briseurs de grève. Le Bloc québécois a présenté depuis 1990 aux Communes une dizaine de projets de loi anti-briseurs de grève pour les entreprises sous réglementation fédérale, qui n’ont jamais été adoptés.