(Ottawa) Le ministre canadien de la Justice, Arif Virani, affirme qu’il faudra « un certain temps » pour créer une nouvelle structure de réglementation afin d’obliger les « géants du web » à mieux protéger les Canadiens contre les préjudices en ligne.

Les commentaires d’Arif Virani surviennent alors que l’opposition conservatrice critique l’intention du gouvernement libéral de créer une nouvelle structure de réglementation dans le cadre de son projet de loi sur les préjudices en ligne. Les conservateurs n’y voient qu’un lourd appareil bureaucratique.

Le projet de loi vise d’abord à créer une « commission canadienne de la sécurité numérique », qui aurait le pouvoir d’imposer des amendes et d’évaluer les plans de sécurité numérique des entreprises.

Le projet de loi propose ensuite de créer un « ombudsman de la sécurité numérique », auprès duquel les Canadiens pourraient faire part de leurs préoccupations.

Enfin, le gouvernement souhaite créer un « bureau de la sécurité numérique », dont la mission serait de soutenir la commission de la sécurité numérique et l’ombudsman « dans l’accomplissement de leur mission respective ».

Le ministre Virani a affirmé mardi que le gouvernement avait toujours su que la création d’une nouvelle structure de réglementation prendrait un certain temps.

Mais il soutient que les modifications apportées dans le projet de loi au Code criminel et à la Loi canadienne sur les droits de la personne pourraient entrer en vigueur plus rapidement une fois la pièce législative adoptée au Parlement.

Ces changements « ciblent les niveaux spécifiques de division et de haine que nous observons dans la société canadienne », a-t-il déclaré.

Certains experts préoccupés

Des organismes de la société civile et des juristes critiquent certaines des dispositions proposées, notamment les sanctions plus sévères pour les délits liés à la haine en ligne, affirmant que ces changements risquaient d’entraver la liberté d’expression au Canada.

Ils ont soulevé des préoccupations similaires au sujet d’un projet de modification de la loi sur les droits de la personne qui permettrait aux Canadiens de déposer des plaintes pour discours haineux, soulignant que cela pourrait entraîner un afflux de plaintes non fondées ou malveillantes.

Lors du débat sur le projet de loi la semaine dernière, la députée conservatrice Michelle Rempel Garner avait fait part de ses inquiétudes concernant l’échéancier.

« Même si le projet de loi est adopté à toute vapeur, le processus réglementaire n’aurait pas lieu avant les prochaines élections », a-t-elle déclaré vendredi dernier à la Chambre des communes.

Mme Rempel Garner a demandé au directeur parlementaire du budget d’analyser combien coûterait la mise en place de ces entités.

En réponse à ces préoccupations, M. Virani a dit que le gouvernement avait toujours su que la création d’un nouvel organisme de réglementation prendrait un certain temps.

Les experts qui ont consulté le gouvernement sur un régime de préjudices en ligne ont signé l’automne dernier une lettre ouverte demandant le dépôt d’un projet de loi après les promesses répétées des libéraux.

La lettre avertissait que les enfants canadiens bénéficiaient de moins de protection que ceux, notamment, du Royaume-Uni et de l’Australie, qui réglementent les plateformes pour le contenu qu’elles hébergent.

Bernie Farber, l’ancien président du Réseau canadien anti-haine, qui a participé à ces consultations, déplore que les efforts visant à lutter contre la croissance de la haine au Canada ont été retardés depuis des années. Il s’inquiète du sort du projet de loi promis depuis longtemps.

«  Trouvez un moyen de faire en sorte que ça fonctionne. C’est l’heure », a-t-il lancé en entrevue mardi.

Lorsque M. Virani a déposé le projet de loi plus tôt cette année, il a défendu le temps que cela a pris, affirmant qu’il était nécessaire de trouver le juste équilibre entre la protection des Canadiens contre tous les préjudices et le respect du droit à la liberté d’expression.

Les experts avaient tiré la sonnette d’alarme concernant une proposition avancée par le gouvernement en 2021 qui aurait potentiellement obligé les entreprises à supprimer du contenu dans un délai de 24 heures.

Ils ont averti que cela risquait de voir les plateformes supprimer des contenus légaux et violer la liberté d’expression.

Ces critiques ont renvoyé les libéraux à la planche à dessin.

Le premier ministre Justin Trudeau a promis pour la première fois une telle législation pendant la campagne électorale de 2019.

La question a pris de l’ampleur en octobre dernier lorsque la police, ainsi que des groupes de défense des droits des juifs et des musulmans, ont signalé une forte augmentation des incidents violents et des discours haineux en ligne depuis le début de la guerre entre Israël et le Hamas.