(Québec) Il ne faut pas « démoniser » les contrats de gré à gré, estime la présidente du Conseil du trésor, Sonia LeBel. La valeur des contrats accordés de gré à gré est en hausse de 100 % depuis trois ans.

« Ce qu’on peut constater, c’est que l’[Autorité des marchés publics (AMP)], avec ses pouvoirs depuis deux ans, est à même de mieux détecter ce qui se passe sur le terrain, et c’était l’objectif », a indiqué Mme LeBel en mêlée de presse jeudi.

Mardi, le PDG de l’Autorité, Yves Trudel, a souligné « la présence du crime organisé, de la collusion et du partage de territoires » lors des activités de surveillance de l’organisme. Il s’est inquiété d’une hausse de 30 % du nombre de contrats de gré à gré depuis trois ans. « C’est préoccupant qu’on augmente les contrats de gré à gré et qu’on diminue les soumissions », a-t-il affirmé.

Lisez l’article « Contrats publics : la collusion reprend la route »

L’ancienne procureure en chef de la commission Charbonneau n’est pas de cet avis. « Mais il ne faut pas démoniser le contrat de gré à gré en prétendant que tout contrat de gré à gré mène nécessairement à de la malversation », a affirmé Mme LeBel. Elle affirme qu’en moyenne, la proportion des contrats de gré à gré dans l’appareil public oscille « entre 17 % et 24 % ».

Des données provenant de son secrétariat montrent tout de même que la valeur totale des contrats en gré à gré totalisait 3 milliards de dollars en 2020-2021, contre 6,25 milliards en 2022-2023, une hausse de 104 %.

Mme LeBel souligne que le projet de loi de son collègue Jonatan Julien doit être modifié pour que « l’Autorité des marchés publics soit à même d’exercer sa surveillance » des contrats de gré à gré.

« Ce qui ne m’inquiète pas, c’est que j’ai un chien de garde qui, depuis deux ans, a les outils nécessaires pour intervenir. Je vais vous faire une grande confidence, le risque zéro n’existe pas. Si le risque zéro existait, il n’y aurait pas l’AMP. Ce qui est important, c’est qu’on lui a donné plus de pouvoirs depuis 2021 », a dit Mme LeBel.

Modifications

M. Trudel a fait ces déclarations lors d’une commission parlementaire qui étudiait le projet de loi du ministre Jonatan Julien sur les infrastructures. Son organisme a levé des « drapeaux rouges » en évoquant des « risques pour les marchés publics ». À la suite d’un appel d’offres infructueux, un donneur d’ouvrage – le ministère des Transports ou de la Santé, par exemple – pourra donner un contrat de gré à gré sans qu’il soit nécessaire de publier un avis d’intention.

Or, l’avis d’intention « permet à l’organisme public de signifier son intérêt à travailler avec un fournisseur potentiel ». « Suivant la publication, d’autres fournisseurs peuvent faire part de leur intérêt en fonction de leur capacité à réaliser le contrat », note l’AMP.

Le ministre Jonatan Julien s’est engagé à réécrire l’article. « Ce qu’on va écrire va convenir aux préoccupations de l’Autorité et de la vérificatrice générale », a dit M. Julien. Il a affirmé que son projet de loi allait créer « plus de concurrence » et allait donc réduire le nombre de contrats de gré à gré.

L’opposition s’inquiète

Mais pour les partis de l’opposition, c’est trop peu. « Je suis très inquiet », a déclaré le chef péquiste Paul St-Pierre Plamondon, qui affirme que le projet de loi de Jonatan Julien crée un mécanisme « par lequel ce serait très facile d’organiser de la collusion », et « qu’objectivement, tu crées un environnement qui favoriserait la collusion ».

« La volonté de la CAQ, en temps de pandémie, c’était, dans la mesure du possible, de contourner les processus d’évaluation environnementale, les processus d’appel d’offres, et on a vu une explosion des contrats de gré à gré, et ça ne s’est pas estompé après la pandémie », a-t-il déploré.

Le critique de Québec solidaire en matière d’éthique, Vincent Marissal, croit que le gouvernement a « baissé la garde ». « La nature a horreur du vide. Si on baisse un peu les bras, ces gens-là vont revenir. Il y avait une piasse à faire en 2012, il y a une piasse à faire en 2024 », a-t-il affirmé.

Visiblement, on a probablement un peu baissé la garde, on a peut-être aussi donné trop de contrats de gré à gré. Des contrats de gré à gré, dans notre système, ça devrait toujours être l’exception. Et on remarque qu’il y en a de plus en plus.

Vincent Marissal, critique de Québec solidaire en matière d’éthique

La libérale Madwa-Nika Cadet a qualifié la sortie de l’Autorité de « troublante ». « Ce n’est pas acceptable, là. Ça, c’est clair que ce n’est pas acceptable », a-t-elle dit.