(Ottawa) Une nouvelle tentative des conservateurs pour démettre le président de la Chambre des communes de ses fonctions a échoué mardi. Ils estiment que Greg Fergus, qui se doit d’être neutre, a un parti pris malgré les excuses présentées la semaine dernière par le Parti libéral du Canada (PLC). La publication d’une invitation destinée aux militants de sa circonscription dénonçait les « politiques irréfléchies » du chef conservateur Pierre Poilievre.

Les néo-démocrates se sont joints aux libéraux pour défaire la motion avec 168 voix. Les conservateurs et les bloquistes l’ont l’appuyée avec 142 votes. C’est donc environ la moitié de la chambre qui a perdu confiance dans son arbitre.

« Vous êtes une honte », a-t-on entendu en anglais sur le plancher de la Chambre des communes tout juste après.

Le vote a eu lieu près d’un mois après l’expulsion de M. Poilievre par le président de la chambre pour avoir traité le premier ministre Justin Trudeau de « cinglé » et d’« extrémiste » lors d’une question sur la décriminalisation des drogues.

Plus tôt dans la journée, les efforts des conservateurs pour faire admettre à M. Fergus qu’il était partial alors qu’il témoignait en comité parlementaire avaient échoué.

« Ce ne serait pas approprié que je commente quelque chose qui est devant la Chambre », a-t-il répondu à plusieurs reprises dans le cadre d’une étude sur la politique de prévention de la violence et du harcèlement en milieu de travail qui encadre le travail des députés.

Il avait offert la même réponse aux journalistes qui lui avaient demandé un peu plus tôt s’il devait démissionner. Que répond-il aux élus qui disent avoir perdu confiance en lui ?

« Je leur demanderais de me juger sur les décisions que je prends et je pense que toutes les décisions que j’ai rendues jusqu’à présent sont considérées comme tout à fait appropriées », a-t-il répondu.

M. Fergus est sur la sellette depuis la semaine dernière après la publication d’une invitation destinée aux militants de sa circonscription qui dénonçait les politiques conservatrices. Le président de la Chambre des communes, membre du Parti libéral, est député de la circonscription de Hull-Aylmer, en Outaouais.

Le PLC a rapidement présenté ses excuses et indiqué que le langage partisan utilisé dans l’invitation y avait été ajouté à l’insu de M. Fergus en raison d’un manque de communication. Cette explication n’a pas satisfait les conservateurs, qui ont lancé une nouvelle tentative pour le remplacer.

Le député conservateur de l’Alberta Chris Warkentin a déposé une motion lundi après que le vice-président de la Chambre des communes, Chris d’Entremont, a indiqué qu’il considérait cet enjeu comme une atteinte évidente au privilège parlementaire.

Dans sa motion, il écrit que « la conduite partisane continue et répétée » de M. Fergus constitue « une trahison envers les traditions et les attentes » à l’égard du président de la Chambre, de même qu’un « manquement à la confiance requise pour s’acquitter de tâches et responsabilités » liées à cette fonction.

Un communiqué de presse ayant pour titre « Greg Fergus reconnu coupable de partisanerie libérale » a été diffusé lundi par le bureau du chef de l’opposition officielle après que M. d’Entremont eut autorisé le dépôt de la motion et ainsi le débat.

En comité et lors du débat en chambre, la députée conservatrice albertaine Michelle Rempel Garner a rappelé l’histoire du coup de coude porté par le premier ministre Justin Trudeau en 2016 à la poitrine de la députée néo-démocrate Ruth Ellen Brosseau comme preuve de sa partisanerie. L’incident s’était produit lors d’une mêlée sur le parquet de la Chambre des communes. Elle a souligné qu’à cette époque, M. Fergus avait affirmé que Mme Brosseau exagérait. Il a répondu que c’était plutôt la description faite par d’autres personnes qu’il avait trouvé exagérée.

« Je ne suis pas certaine que si je vous rapportais quelque chose, vous me traiteriez équitablement, a soulevé Michelle Rempel Garner. […] Et c’est pourquoi j’ai perdu confiance dans votre présidence. »

Plusieurs ministres du Cabinet ont réitéré leur confiance envers M. Fergus mardi. « Écoutez, c’était une erreur de bonne foi. Le parti l’a admis. Je pense qu’on passe à autre chose », a résumé le ministre de l’Environnement, Steven Guilbeault.

« Parlement dysfonctionnel »

« On a un Parlement dysfonctionnel », s’est impatienté le chef du Bloc québécois, Yves-François Blanchet, en point de presse mardi, pointant à la fois les conservateurs et les libéraux. « On perd du temps avec des procédures et des décisions. »

Il a appelé les élus à passer au vote rapidement sur l’avenir du président de la Chambre sans s’engager dans de longs débats sur la question. Le Bloc québécois met aussi en doute la neutralité de M. Fergus.

Le leader parlementaire du Nouveau Parti démocratique (NPD), Peter Julian, croit qu’il s’agit d’une tactique des conservateurs pour monopoliser les travaux de la Chambre des communes et ainsi retarder l’avancement du projet de loi C-64 sur l’assurance médicaments.

« C’est récurrent maintenant, a-t-il affirmé. On a vu M. Poilievre attaquer la Banque du Canada, attaquer les institutions indépendantes du Parlement, et je trouve ça extrêmement dérangeant que les conservateurs semblent attaquer tout ce qu’ils ne contrôlent pas. »

Ce n’est pas la première fois que l’impartialité du président de la Chambre des communes est remise en question depuis qu’il arbitre les travaux parlementaires. Des appels à sa démission avaient également été lancés par les conservateurs et le Bloc québécois en décembre dernier après la diffusion d’un hommage vidéo pour souligner le départ de John Fraser de la direction du Parti libéral de l’Ontario, lors du congrès au leadership du parti. Il y apparaissait vêtu de la toge de président de la Chambre des communes.

L’affaire avait été confiée au Bureau de la régie interne de la Chambre, qui lui avait imposé une amende de 1500 $. Sa participation à un cocktail militant en novembre avait également fait sourciller.

M. Fergus a été élu à la présidence de la Chambre des communes en octobre dernier à la suite de la démission d’Anthony Rota après l’ovation réservée à un ancien combattant nazi lors de la visite du président ukrainien Volodymyr Zelensky.