Qu’est-ce qui explique que, soudainement, les demandes d’asile en provenance de certains pays augmentent ou diminuent ? La situation dans le pays d’origine ? Les failles dans les contrôles du Canada ? L’existence de réseaux ? Explications.

Les 10 premiers

Le Mexique ne trône plus au sommet des pays d’origine des demandeurs d’asile, selon les plus récentes données d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC). Les demandes de Mexicains se sont effondrées après le rétablissement par le fédéral de l’exigence d’un visa pour les ressortissants de ce pays : elles sont passées de 1360 en février à 215 en mars et à 175 en avril. Le Mexique occupe maintenant la 2place des 10 premiers pays d’origine des demandeurs d’asile au Québec, derrière l’Inde. Les autres sont, dans l’ordre, Haïti, le Bangladesh, le Nigeria, le Ghana, la République démocratique du Congo, la Colombie, l’Algérie et la Guinée. Fait à noter : hormis Haïti, ce ne sont pas les endroits où la situation des citoyens est la plus catastrophique dans le monde – pensons à des pays déchirés par la guerre et frappés par un déplacement massif de populations. Pour le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, les pays prioritaires sont l’Afghanistan, la Syrie, le Soudan, la Birmanie et l’Ukraine.

L’explosion des Bangladais

PHOTO MUNIR UZ ZAMAN, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Quai bondé de la station de train de Tongi, dans le centre du Bangladesh

Le caractère imprévisible des demandes d’asile est bien illustré par le Bangladesh. Le nombre de demandes d’asile en provenance de ce pays explose. De janvier à avril, on recense 2020 demandes de Bangladais, au Québec, comparativement à 117 pour la même période l’an dernier. Dix-sept fois plus ! Que se passe-t-il au Bangladesh ? « C’est un des pays les plus pauvres de la planète », explique Mathieu Boisvert, professeur au département de sciences des religions de l’Université du Québec à Montréal. À cela s’ajoute le durcissement de la politique « d’immigration clandestine » en Inde, pays voisin du Bangladesh, note-t-il. Mais pour entrer au Canada, il faut un visa. Cela donne à penser qu’il y a peut-être au Bangladesh, comme en Inde, des réseaux organisés. Le cas du Bangladesh illustre aussi le fait que le motif premier du départ est la misère et que dans de très nombreux cas, la demande d’asile est une porte d’entrée pour une forme d’immigration économique. Le ministre de l’Immigration, Marc Miller, a d’ailleurs dit à La Presse Canadienne avoir « pris plusieurs mesures pour resserrer l’étau à l’interne » face à une hausse des demandes d’asile faites par des étrangers arrivés au pays avec un visa de visiteur.

82 %

Taux d’approbation des demandes d’asile de ressortissants du Bangladesh, au Canada, de janvier à avril 2024.

Source : Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (CISR)

La filière indienne

PHOTO SAUMYA KHANDELWAL, ARCHIVES THE NEW YORK TIMES

Des habitants de New Delhi, en Inde, remplissent des contenants d’eau.

Les demandes d’asile d’Indiens augmentent de mois en mois. De janvier à avril, le Québec a reçu presque autant de demandes (3985) que durant toute l’année 2023 (4670). À ce rythme, on comptera 12 000 demandeurs d’asile indiens d’ici la fin de l’année. « Vous avez une proportion assez importante des demandeurs d’asile qui sont motivés par des facteurs de persécution individuelle », explique Adèle Garnier, professeure à l’Université Laval et membre de la Chaire sur les dynamiques migratoires mondiales. « Puis, c’est possible qu’il y ait aussi des facteurs d’attraction, comme la présence de la communauté et le manque d’opportunités économiques. » Autre hypothèse : des Indiens viennent au Canada pour se rendre illégalement aux États-Unis. Dans les neuf derniers mois, la patrouille frontalière américaine a arrêté plus de 10 000 personnes en provenance du Québec. Parmi eux, beaucoup d’Indiens. Là aussi, La Presse a pu constater l’existence de réseaux qui exigent des milliers de dollars à des Indiens pour leur procurer un visa de visiteur leur permettant d’entrer au Canada et de demander l’asile.

Lisez « Immigration indienne : “Ça prend de l’argent pour venir” »

59 %

Taux d’approbation des demandes d’asile de ressortissants de l’Inde, au Canada, de janvier à avril 2024

Source : CISR

Violence sexuelle ou religieuse

PHOTO TEMILADE ADELAJA, ARCHIVES REUTERS

Des passants déambulent dans un marché de Lagos, au Nigeria.

Depuis un an, le nombre de demandes du Nigeria grimpe en flèche. De 20 en avril 2023, il est passé à 385 en avril de cette année. Il y a eu un assouplissement dans la délivrance des visas de touriste aux voyageurs de ce pays et d’autres pays d’Afrique de l’Ouest l’an dernier, ce qui pourrait expliquer la hausse des demandes du Nigeria. Ce pays, le plus populeux d’Afrique, compte le plus grand nombre d’habitants en situation d’extrême pauvreté sur la planète. « Il y a aussi de la persécution religieuse envers les chrétiens, souligne Adèle Garnier. Depuis les réformes adoptées par le président Trump, les demandes d’asile pour des motifs de violence domestique, sexuelle ou religieuse sont beaucoup plus difficilement accordées aux États-Unis », précise-t-elle. Par exemple, l’incapacité de pouvoir vivre son homosexualité au grand jour, comme c’est le cas dans de nombreux pays africains, permet d’obtenir l’asile au Canada, ce qui n’est pas le cas aux États-Unis ou dans l’espace européen.

69 %

Taux d’approbation des demandes d’asile de ressortissants du Nigeria, au Canada, de janvier à avril 2024

Source : CISR

Le drame d’Haïti

PHOTO RICARDO ARDUENGO, REUTERS

Des militaires haïtiens patrouillent dans Pétionville, en banlieue de Port-au-Prince.

Après une chute des demandes d’Haïtiens, à la suite de la fermeture du chemin Roxham, à la fin de mars 2023, on assiste à une remontée, autour de 600 demandes par mois. « C’est clair qu’il y a beaucoup de raisons pour fuir Haïti », observe Michael Barutciski, avocat et professeur à l’Université York, à Toronto. « Si j’étais Haïtien, je voudrais fuir. Mais ce qui est clair, aussi, c’est qu’on impose le visa aux Haïtiens parce qu’on ne veut pas avoir des millions d’Haïtiens au Canada. Alors, il faut être honnête et reconnaître que beaucoup d’Haïtiens viendraient ici s’il n’y avait pas de visa. » Ceux qui ont de la famille au Canada peuvent présenter une demande d’asile à un poste frontalier terrestre. Les autres peuvent traverser la frontière, ailleurs qu’à un point d’entrée officiel (sans se faire prendre), et soumettre une demande d’asile 14 jours plus tard, comme le prévoit l’entente révisée sur les tiers pays sûrs entre le Canada et les États-Unis.

72 %

Taux d’approbation des demandes d’asile de ressortissants d’Haïti, au Canada, de janvier à avril 2024

Source : CISR