Plusieurs arrondissements de Montréal découragent leurs employés, même ceux formés en secourisme, d’administrer de la naloxone, un antidote contre les surdoses pourtant distribué gratuitement à la population, a appris La Presse. Une approche qui va à l’encontre des recommandations du ministère de la Santé et des Services sociaux.

À l’arrondissement de Rosemont–La Petite-Patrie, les employés – autant les cols bleus que les cols blancs – ne peuvent pas administrer de la naloxone s’ils suspectent une surdose d’opioïdes. « La naloxone est considérée comme un médicament et ne fait pas partie de la trousse de premiers soins de notre personnel », indique le chargé de communication, Samuel Dion. Les formations de secourisme offertes aux employés n’incluent pas l’administration de naloxone.

En cas de surdose, les employés ont plutôt la consigne d’appeler le 911. Les employés de Villeray–Saint-Michel–Parc-Extension et de LaSalle ont aussi comme consigne d’appeler les services d’urgence, sans administrer de naloxone.

De son côté, les arrondissements de Montréal-Nord et de Lachine n’interdisent pas à leurs employés d’utiliser la naloxone, mais n’offrent pas la formation pour l’administrer et n’en possèdent pas dans leurs trousses de premiers soins. L’arrondissement de L’Île-Bizard–Sainte-Geneviève n’offre pas non plus de formation à ce sujet.

Le ministère de la Santé recommande pourtant l’emploi de la naloxone par les secouristes en milieu de travail et encourage les employeurs à offrir la formation nécessaire à cet égard, afin de contribuer à contrer la crise des opioïdes.

PHOTO CHARLES WILLIAM PELLETIER, ARCHIVES COLLABORATION SPÉCIALE

La naloxone peut être administrée par voie intranasale ou en injection intramusculaire.

La naloxone, qui peut être vaporisée directement dans le nez, renverse temporairement les effets d’une surdose d’opioïdes. Depuis 2017, des trousses contenant l’antidote sont offertes gratuitement dans toutes les pharmacies du Québec et dans certains établissements de santé et organismes communautaires à toute personne âgée de 14 ans et plus, sans ordonnance.

Rétablir la respiration

Des employés de Rosemont–La Petite-Patrie ont récemment demandé que de la naloxone soit ajoutée aux trousses de premiers soins. Leur demande a été refusée, déplore le président du syndicat des fonctionnaires municipaux de Montréal (SCFP-429), Patrick Dubois.

Un gestionnaire a répondu qu’il craint que le risque pour leurs employés qui n’ont pas l’expérience ni la formation adéquate soit trop élevé.

Patrick Dubois, président du syndicat des fonctionnaires municipaux de Montréal (SCFP-429)

Appeler les services d’urgence lorsqu’une personne est en surdose est primordial, soutient l’Association québécoise des pharmaciens propriétaires (AQPP). Or, « contacter le 911 peut ne pas suffire » pour sauver la vie de la personne en surdose. « La naloxone peut rétablir la respiration en deux à trois minutes et ainsi garder la personne en vie jusqu’à l’arrivée des services de secours », a déclaré par courriel l’association.

En cas de doute sur une surdose, il est préférable d’administrer de la naloxone, car elle est sans danger et n’agit que si la personne a consommé des opioïdes, rappelle le ministère de la Santé. « Le plus de citoyens possible devraient se procurer l’antidote gratuitement afin d’être en mesure de l’administrer rapidement au besoin », dit Marie-Pierre Blier, des relations avec les médias.

« Quelque chose ne fonctionne pas »

L’arrondissement de Rosemont–La Petite-Patrie soutient que les personnes qui fournissent de la naloxone doivent avoir suivi la formation requise sur les signes d’une surdose d’opioïdes et les étapes à suivre, en plus d’une formation sur les méthodes d’intervention en présence d’une personne potentiellement violente.

« La personne qui reçoit la naloxone peut expérimenter des symptômes aigus de sevrage d’opioïdes, ce qui peut se traduire par de la douleur, de la détresse et de l’agitation. Les personnes à proximité sont à risque de subir des blessures », dit M. Dion.

Le directeur de l’organisme communautaire PACT de rue, Maxime Bonneau, est perplexe devant cette explication de l’arrondissement.

Une personne en surdose est près d’un décès. J’aime mieux que quelqu’un soit en réaction après la naloxone que quelqu’un qui meurt.

Maxime Bonneau, directeur de l’organisme communautaire PACT de rue

Il ajoute que rien ne nous empêche de nous éloigner de la personne, une fois la naloxone administrée.

Les intervenants de l’organisme PACT de rue ont toujours en leur possession des trousses de naloxone. « Mais dans Rosemont–La Petite-Patrie, je n’ai que deux intervenants, dit M. Bonneau. C’est impossible qu’on soit les seuls qui peuvent administrer de la naloxone sur le terrain. »

Des trousses accessibles

Les directives d’utilisation de la naloxone varient grandement dans la métropole. En effet, plusieurs arrondissements forment certains de leurs employés à son utilisation : Le Plateau-Mont-Royal, Mercier–Hochelaga-Maisonneuve, Saint-Laurent, Verdun, Saint-Léonard, Ville-Marie, Pierrefonds-Roxboro et Le Sud-Ouest.

La naloxone a d’ailleurs été ajoutée à la plupart des trousses de premiers soins, notamment en bibliothèque, dans l’arrondissement du Sud-Ouest. Le médicament est aussi disponible dans toutes les piscines de l’arrondissement de Verdun.

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La naloxone est disponible dans toutes les piscines de l’arrondissement de Verdun.

Le président du syndicat, Patrick Dubois, demande à la Ville d’introduire la naloxone dans toutes les trousses de premiers soins et d’uniformiser les directives d’utilisation.

Un total de 173 administrations de naloxone a été rapporté par Urgences-santé, qui dessert le territoire de Montréal et de Laval, entre le 1er mai et le 25 juin. Ces données incluent toute administration de naloxone, autant par les paramédicaux que par la population.

Qu’est-ce que la naloxone ?

La naloxone est un médicament qui renverse temporairement les effets d’une surdose d’opioïdes, dont le fentanyl, l’héroïne, la morphine et la codéine. Elle peut être administrée par voie intranasale, en insérant le vaporisateur dans une narine, ou en injection intramusculaire, grâce à une seringue dans l’épaule ou la cuisse. Une fois administrée, la naloxone s’unit aux mêmes récepteurs dans le cerveau que ceux des opioïdes. Le médicament peut ainsi déloger la drogue et rétablir la respiration de la personne en quelques minutes. L’effet du médicament s’étend généralement sur une période de 20 à 90 minutes. Les trousses de naloxone ont permis de neutraliser des milliers de surdoses d’opioïdes au pays, selon le gouvernement du Canada.

Voyez une vidéo de l’INSPQ pour savoir comment administrer la naloxone par voie nasale