Les sociétés de transport collectif du Grand Montréal effectuent des achats qui font sourciller des critiques, malgré un déficit qui entraîne des licenciements d’employés et des hausses de taxes salées pour les automobilistes.

Fête à 300 $ par participant, 10 000 $ pour retenir les services d’influenceurs sur Instagram, près de 100 000 $ en bouteilles d’eau : ces dépenses représentent une part infime de leur budget, mais soulèvent des questions quant à leurs efforts de resserrement.

Elles pourraient retenir l’attention des experts qui passent actuellement au peigne fin les comptes des sociétés de transport, à la demande de la ministre Geneviève Guilbault. Ces audits de performance visent « justement [à] optimiser chaque dollar investi dans le transport collectif au Québec », a d’ailleurs réagi son directeur des communications, Maxime Roy. « Il apparaît nécessaire qu’on améliore l’efficacité de nos sociétés de transport. »

« Ce genre de décision relève exclusivement des sociétés de transport, donc des municipalités », a aussi indiqué M. Roy.

Le Réseau de transport de Longueuil (RTL) a dépensé 46 000 $ pour un évènement de reconnaissance des employés, plus tôt cette année. Selon le site web de l’agence responsable de l’organisation, 150 personnes étaient présentes « dans une atmosphère à la fois grandiose et intimiste ».

La même organisation a passé l’an dernier un contrat de 121 000 $ pour développer la « nouvelle identité visuelle du RTL » et a publié un appel d’offres pour acheter des dizaines de milliers de dollars en mobilier pour son nouveau centre administratif.

Dans un courriel, l’organisation a défendu la décision d’effectuer ces trois dépenses. « Malgré l’enjeu actuel de financement, il est primordial pour nous d’attirer et de maintenir les meilleurs talents dans le domaine du transport en commun au Québec », a indiqué le conseiller en affaires publiques Maxime Laliberté, à propos de la fête à 46 000 $. « L’évènement en question visait à remercier des employés ayant cumulé 25 ans de service et d’autres ayant pris leur retraite en 2023. »

PHOTO TIRÉE DU SITE WEB DE SUITE22

Le RTL a dépensé 46 000 $ pour un évènement de reconnaissance des employés, plus tôt cette année.

Quant au mobilier et au changement d’identité visuelle, ces dépenses étaient adéquates, a-t-il ajouté. Les meubles étaient « très désuets », beaucoup datant même « des années 1980, il était donc plus que temps de le remplacer ».

Marketing d’influenceurs

Du côté d’exo, le transporteur des couronnes nord et sud, on a fait appel à des influenceurs pour mousser la popularité des services. En 2022, l’organisation a versé près de 10 000 $ à une agence spécialisée en la matière.

  • Le transporteur exo a fait appel à des influenceurs pour mousser la popularité des services.

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    Le transporteur exo a fait appel à des influenceurs pour mousser la popularité des services.

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L’organisation continue de payer des influenceurs en 2024, mais ces dépenses n’ont pas encore été rendues publiques.

La société exo a aussi cassé la tirelire pour fournir des véhicules neufs à ses inspecteurs. Au début de l’année, elle a payé 149 000 $ pour acquérir deux véhicules Mitsubishi Outlander hybrides.

Ces coûts comprennent « toutes les taxes et les frais d’adaptation (gyrophares, rangement, cloison grillagée, extincteur, etc.) », a précisé exo. Ce modèle « permet de couvrir notre réseau d’autobus et de train ainsi que nos chantiers dans toutes les conditions ». Mitsubishi était le seul soumissionnaire à offrir des véhicules à exo.

Quant à la campagne de promotion avec des influenceurs, « elle a donné d’excellents résultats », assure exo.

« Il est difficile de s’imaginer comment des dépenses en marketing pour des influenceurs ou l’achat de véhicules hybrides peuvent contribuer à améliorer la qualité des services pour les usagers du transport en commun. Les priorités ne sont pas à la bonne place », a réagi Nicolas Gagnon, de la Fédération canadienne des contribuables, face à l’ensemble de ces dépenses.

Les opérateurs « ont le devoir de faire le ménage dans leurs dépenses avant de refiler la facture aux contribuables », a-t-il ajouté. M. Gagnon fait référence à la hausse de la taxe sur l’immatriculation de 59 $ à 148 $ pour chaque véhicule du Grand Montréal, une décision votée à la fin de mai par une majorité de maires de la région.

Les sociétés de transport collectif traversent des années extrêmement difficiles avec une baisse de fréquentation (et donc de revenus) causée par l’augmentation du télétravail. Québec a accepté de compenser ces déficits jusqu’en 2022, mais a adopté une position beaucoup plus ferme depuis.

En 2023 et en 2024, les sociétés ont donc dû entamer des coupes importantes afin de permettre au système d’équilibrer son budget. Certaines, comme la Société de transport de Montréal (STM) et la Société de transport de Laval (STL), ont même procédé à des abolitions de postes. « L’heure est grave », avait affirmé Valérie Plante l’automne dernier.

100 000 $ en bouteilles réutilisables

L’achat de 18 Ford Mustang Mach-E par la STM pour environ 65 000 $ chacun a fait les manchettes la semaine dernière.

Mais La Presse a aussi constaté que l’organisation avait dépensé près de 100 000 $ en bouteilles d’eau métalliques depuis 2021, dont 32 000 $ l’an dernier.

PHOTO ROBERT SKINNER, ARCHIVES LA PRESSE

La STM a dépensé près de 100 000 $ en bouteilles d’eau réutilisables depuis 2021.

De plus, la STM a révélé le mois dernier, sur la plateforme publique d’appels d’offres, avoir payé environ 75 000 $ en 2022 pour se faire livrer des cartes d’autobus par avion, de crainte d’en manquer.

« On est la huitième entreprise au Québec, on fait un million de déplacements par jour et on s’assure de bien gérer les fonds publics », a réagi Marie-Claude Léonard, grande patronne de la STM, en entrevue téléphonique. « Cette année, dans le budget 2024, on est allés chercher 85 millions de réduction de dépenses. On cherche un autre 10 millions. » En février dernier, la STM a d’ailleurs annoncé l’abolition de 230 postes.

On gère des fonds publics et on en est très, très conscients.

Marie-Claude Léonard, directrice générale de la STM

Mme Léonard a fait valoir que les Ford Mustang Mach-E n’étaient pas des véhicules de luxe et que leur prix d’achat de 65 000 $ correspond au prix moyen d’une voiture électrique au Québec. Elle a ajouté que ces véhicules sont destinés aux superviseurs du réseau d’autobus, pour qui ils constituent de véritables « bureaux » sur roues.

Quant aux bouteilles, « on se devait d’aller porter de l’eau quand une canicule était constatée à nos chauffeurs d’autobus », a-t-elle rapporté, indiquant qu’il s’agissait d’une règle de santé et sécurité du travail. La STM avait choisi d’investir dans la fabrication de bouteilles réutilisables pour remplacer les dizaines de milliers de bouteilles jetables qu’elle achetait dans les années précédentes.

« On se serait attendu à ce que certaines de ces dépenses ne soient pas autorisées », a réagi l’élue de l’opposition Christine Black, porte-parole en matière de transport. « D’un côté, la présidente de la Communauté métropolitaine de Montréal, Valérie Plante, augmente drastiquement la taxe sur l’immatriculation des véhicules pour éponger le déficit des sociétés de transport du Grand Montréal, mais de l’autre, on se demande si cette hausse n’est pas le résultat d’une mauvaise gouvernance qui perdure au fil du temps. »

Des dépenses qui surprennent

exo

• Services d’une agence marketing d’influenceurs : 9933,84 $
• 2 Mitsubishi Outlander hybrides : 148 686,39 $

STM

• Bouteilles isothermes : 99 000 $ depuis 2021
• 18 Ford Mustang Mach-E : 1 156 122 $

RTL

• Fête de reconnaissance pour 150 personnes : 46 990,36 $
• Refonte de l’image de marque : 120 723,75 $
• Mobilier neuf pour le centre d’exploitation réaménagé : 94 044,95 $ (prix de la plus basse soumission, contrat à venir)