Des tout-petits escortés par la police pour sortir de la garderie. Des « évènements perturbateurs » à chaque jour d’école. Des enfants témoins de violence ou d’exhibitionnisme.

La cohabitation entre enfance et itinérance se complique ces jours-ci dans les quartiers centraux de Montréal, au moment où la crise sociale s’étale au grand jour. Une psychologue met d’ailleurs en garde contre l’exposition répétée à des scènes problématiques, qui peut avoir un impact psychologique sur les enfants.

« Mon gars a peur ! », a confié mardi Jessica Normandeau, en attendant son fils de 5 ans devant l’école Victor-Rousselot, dans le Sud-Ouest. « Avant qu’il commence l’école, des itinérants lui avaient lancé des canettes et des choses comme ça. […] Depuis ce temps-là, mon fils a toujours eu peur. Quand ça se met à crier, il me tient super fort. »

PHOTO JOSIE DESMARAIS, LA PRESSE

La Maison Benoît-Labre a ouvert un centre de jour et un lieu de consommation supervisée près de l’école Victor-Rousselot. Un projet qui avait fait face à de l’opposition dans le voisinage.

À quelques mètres, la Maison Benoît-Labre a ouvert le mois dernier un centre de jour et un lieu de consommation supervisée. Au moment du passage de La Presse, une douzaine de personnes visiblement vulnérables sont installées autour du bâtiment, un conflit semblant opposer certaines d’entre elles. Un homme et une femme sont couchés sur un coin de rue tout près, enlacés. À la sortie des classes, des employés de l’école installent des petits cônes pour condamner la partie de la cour adjacente à l’abri de fortune du duo.

C’est loin d’être le seul lieu à Montréal où la cohabitation est difficile. Au CPE Le Petit Palais, rue Viger Ouest, les enfants ne sortent plus se promener dans le quartier sans escorte policière. Ils ont fait quelques promenades de ce type l’automne dernier.

« On vit avec beaucoup de gens qui sont intoxiqués, qui sont agressifs », a relaté la directrice générale Sylvie Chabot, qui a aussi rapporté un épisode de masturbation devant des bambins.

Ce n’est pas normal d’être obligés de se promener avec des policiers autour d’un CPE.

Sylvie Chabot, directrice générale du CPE Le Petit Palais

Les sorties sont réduites au strict minimum et seuls les plus vieux en profitent : « pas les petits qui ont de petites jambes, s’il se passait quelque chose… »

C’est le seul CPE du centre-ville qui utilise une escorte pour ses promenades, a indiqué le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM).

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La cour du CPE La Petite Colonie, rue Stanley, au centre-ville de Montréal

Dans la cour du CPE La Petite Colonie, rue Stanley, c’est plutôt pour signaler un cadavre dans la cour que la police a été appelée, en février dernier. « Mon garçon ne veut plus marcher sur le trottoir, s’il ne me tient pas la main, quand il y a des itinérants, a rapporté la présidente du conseil d’administration local, Marie-Ève Bisson. Il va avoir 5 ans au mois de juillet. »

« Il faut protéger les enfants »

Pour leur développement, les enfants peuvent sans problème être exposés à la diversité sociale, mais doivent être protégés contre les situations qui les insécurisent. C’est ce qu’a expliqué l’ex-présidente de l’Ordre des psychologues du Québec Rose-Marie Charest, en entrevue avec La Presse.

« Je pense qu’il faut protéger les enfants contre une trop grande exposition à la violence, à la sexualité, aux problèmes que peut entraîner la drogue », a-t-elle expliqué. « On parle de protéger l’enfant contre l’intrusion dans son intimité à lui, mais lui ne doit pas non plus être surexposé à l’intimité des autres. »

Les enfants, particulièrement ceux qui vivent en ville, seront « de toute façon » exposés à différentes situations. Mais « il faut absolument que l’enfant se sente dans un lieu sécuritaire, un lieu paisible », répète Mme Charest.

Ce n’est pas le cas pour la fille de 8 ans de Stéphanie Larin, une autre mère de l’école Victor-Rousselot. « Ma fille ne veut même plus venir à l’école, a-t-elle expliqué, juste avant que la cloche de la fin des classes sonne. Elle me dit : « Maman, j’ai peur, ça crie toujours. » Elle a peur de venir à l’école. »

Le centre de services scolaire de Montréal (CSSDM) a confirmé que l’école Victor-Rousselot avait dénombré 28 « évènements perturbateurs » pendant les quatre premières semaines d’ouverture du centre de jour de la Maison Benoît-Labre, soit plus d’un par jour de semaine. Il s’agit d’« évènements dérangeants pour l’école, mais qui ne compromettent pas nécessairement la sécurité des élèves », précise l’organisation.

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Les travaux au centre de jour de la Maison Benoît-Labre dans le Sud-Ouest ne sont pas encore terminés, ce qui limite l’utilisation de l’espace, affirme la directrice générale de l’organisme.

Andréane Désilets, la directrice générale du groupe communautaire, a reconnu que « ce n’est pas facile présentement » sur le plan de la cohabitation. Elle a notamment montré du doigt la fermeture des refuges hivernaux et l’accélération du démantèlement de campements, qui poussent des gens vers sa ressource. Des travaux extérieurs continuent de limiter l’utilisation d’une cour qui éloignerait les utilisateurs de la cour d’école, a-t-elle ajouté.

Proximité inévitable

À la Ville de Montréal, le responsable de l’habitation au comité exécutif a assuré qu’il comprenait les parents, tout en relativisant la situation.

« On veut toujours le meilleur pour nos enfants, on veut toujours que ce soit calme, que ce soit douillet. Je comprends qu’en ce moment il y a des parents qui s’inquiètent de la hausse de l’itinérance », a dit Benoit Dorais, en marge d’une annonce sur le logement.

« Il y a une hausse des crises des vulnérabilités de toutes sortes. Je pense que c’est un défi collectif, un défi de société », a-t-il continué. « Cela dit, ce n’est pas juste à Montréal. […] C’est vécu actuellement à Granby, à Saint-Hyacinthe, à Drummondville, à Victoriaville, à Québec. »

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Famille sur le chemin de l’école, dans le Sud-Ouest

Marie-Ève Bisson, présidente du conseil d’administration du CPE La Petite Colonie, estime pour sa part que l’hôtel de ville renonce à ses responsabilités envers les petits Montréalais qui vivent dans les quartiers centraux ou les fréquentent.

« La Ville priorise vraiment les itinérants sur la sécurité des enfants », a lancé Mme Bisson, visiblement excédée après plusieurs rencontres infructueuses avec les autorités municipales.

« À chaque réunion que j’ai avec la Ville, il ressort qu’il faut prioriser la cohabitation avec les itinérants et qu’il n’y a pas d’autre solution. La Ville a créé ce problème-là [en autorisant l’installation du refuge] et il n’y a jamais de solution qui est proposée. »

Au dernier conseil municipal, mi-mai, le responsable de l’urbanisme de l’administration avait confirmé que la proximité avec les enfants n’était pas analysée lorsque la Ville doit approuver l’emplacement d’un refuge ou d’un autre service.

« Malheureusement, on ne peut pas prendre en considération ces proximités-là dans l’installation de type d’usage, a affirmé Robert Beaudry. Ce qu’on fait, c’est qu’on s’assure qu’il y a des mesures qui sont mises en place pour minimiser les impacts. Parce que sur le territoire montréalais, on a des CPE, écoles et services aux jeunes à peu près à tous les coins de rue. »