Sur l’une des îles les plus densément peuplées du monde, au large du Pakistan, un groupe de femmes enceintes attend sous un soleil brûlant l’unique sage-femme qui vient de Karachi, la plus grande ville du pays, sur l’autre rive.

Une fois par semaine, Neha Mankani, 38 ans, débarque avec son bateau-ambulance sur Baba, une île de pêcheurs qui compte près de 7000 habitants sur un cinquième de kilomètre carré.

Avant qu’elle ne lance sa clinique sur l’île en 2015, puis, l’an dernier, son service de transport maritime gratuit, les femmes enceintes et leurs enfants attendaient souvent longtemps sur la côte, à la merci des canicules de plus en plus longues et fréquentes au Pakistan et des inondations, monnaie courante durant la mousson.

Aujourd’hui, c’est Zainab Bibi, 26 ans, qui vient consulter. Elle est de nouveau après une fausse couche à six mois, un jour de canicule l’été dernier sur son île à la merci de la chaleur et de la montée des eaux.

« Il faisait très chaud et je me suis sentie mal, ma tension a subitement baissé », se souvient-elle.

Après avoir attendu des heures un bateau, « quand j’ai accouché à l’hôpital, ma fille était déjà morte », raconte-t-elle à l’AFP.

Au Pakistan, l’un des pays les plus vulnérables au changement climatique, cette année, le thermomètre a déjà grimpé à 53 degrés.

Risques multipliés par la canicule

L’été, « on voit plus de bébés qui naissent prématurés ou en retard de croissance in utero et de fausses couches », rapporte Mme Mankani. « Les femmes enceintes ou qui viennent d’accoucher et les nouveau-nés sont bien plus affectés par le changement climatique ».

PHOTO RIZWAN TABASSUM, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Des femmes attendent leur tour pour obtenir une consultation médicale sur le bateau-ambulance.

Une revue d’experts du British Journal of Obstetrics and Gynaecology le confirmait l’an dernier : le risque de naissance de bébés mort-nés est plus élevé quand les femmes sont exposées durablement à des températures plus hautes que 90 % des normales saisonnières.

En temps normal déjà, rappelle la publication, le corps d’une femme enceinte subit des changements qui diminuent sa capacité à réguler sa température – tout comme les enfants.

Le Pakistan déplore 154 décès maternels pour 100 000 naissances vivantes, un taux élevé dû, selon l’ONU, au manque d’accès aux soins en zones rurales, au manque d’information de mères souvent très jeunes et à la pauvreté.  

Et sur l’île Baba et les quatre autres îlots qui bordent Karachi, les défis sont encore plus grands.  

Mme Mankani a commencé sa carrière il y a 16 ans à l’hôpital de Karachi. Elle y voyait régulièrement des femmes arriver avec des complications de ces petits bouts de terre en pleine mer d’Arabie.

Alors, en 2015, elle a lancé le fonds « Baby Mama », pour y monter les premiers dispensaires pour mère et enfant. Puis, en 2023, son bateau gratuit.

Une délivrance pour Sabira Rachid qui, à 26 ans, a trois enfants – après avoir perdu deux autres nourrissons, dont un, dit-elle, faute d’avoir trouvé un bateau pour l’emmener à temps à l’hôpital.

Son dernier enfant, une fille qu’elle a appelée Eesha, assure-t-elle, est en vie « grâce au dispensaire de Neha ».

Pauvreté et isolement

Sur ces îles démunies – au large d’un pays où 40 % des habitants vivent sous le seuil de pauvreté –, les filles sont souvent mariées à 16 ans par des familles appauvries par la pollution de l’eau qui a réduit la pêche à peau de chagrin.  

« Beaucoup de ces jeunes filles ne savent pas comment se soigner alors qu’elles tombent souvent malades à cause de la pollution de l’eau », témoigne Chahida Sumaar, aide-soignante de 45 ans du dispensaire de Mme Mankani.

En essuyant la sueur de son front avec son long foulard, elle exhorte les jeunes mères à boire beaucoup, se laver le sein avant d’allaiter ou leur enseigne comment emmailloter leur nouveau-né dans une serviette propre et sèche pour lutter contre la chaleur humide.

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Un petit patient du bateau-ambulance.

Des conseils vitaux dans des maisons sans eau courante, souvent sans électricité, où les femmes cuisinent au-dessus d’un feu dans de petites pièces non ventilées.

Ayesha Mansour, 30 ans et quatre enfants, n’a que quatre à cinq heures de courant par jour dans son deux-pièces au bout d’un chemin de sacs plastiques, souvent recouverts par l’eau qui monte.

« Ceux qui ont des panneaux solaires affrontent mieux la chaleur, mais on ne peut pas se les payer », affirme-t-elle en chassant les mouches autour du visage de son dernier-né.

« En juin ou juillet, la chaleur est insupportable », abonde Mariam Aboubakr, aide-soignante de 18 ans.  

Aller dans ces conditions jusqu’à Karachi, « c’est trop loin », poursuit cette native de l’île qui espère devenir un jour la première sage-femme à temps plein de Baba.