La diminution des gaz à effet de serre (GES) pourrait-elle… accélérer le réchauffement planétaire ? Une idée qui paraît contre-intuitive, mais bien réelle. Au fur et à mesure que nous réduisons nos émissions polluantes, nous atténuons également les aérosols qui permettent de refroidir l’atmosphère. Explications.

Les GES ne sont-ils pas censés être la cause du réchauffement planétaire qu’on connaît actuellement ?

C’est toujours le cas. Les activités humaines à l’origine des émissions de gaz à effet de serre sont encore la principale cause du réchauffement observé depuis le début de l’ère préindustrielle. Entre 1850 et 2024, la concentration de CO2 dans l’atmosphère est passée de 285 parties par million (ppm) à 426,95 ppm en date du 26 juin dernier. La courbe de la hausse des températures suit d’ailleurs de façon presque identique celle de la concentration de dioxyde de carbone (CO2).

Voyez une animation de la NASA illustrant le réchauffement planétaire depuis l’ère préindustrielle (en anglais) Visualisez l’évolution des niveaux de CO2 dans l’atmosphère (en anglais)

Mais si je comprends bien, nos émissions polluantes réchauffent la planète tout en la refroidissant en même temps. C’est nouveau, ça ?

Non, ce n’est pas nouveau. En brûlant du charbon ou du pétrole, nous rejetons aussi du dioxyde de soufre (SO2) dans l’atmosphère. Or, le dioxyde de soufre joue un rôle refroidissant en bloquant les rayons du soleil, explique Alejandro Di Luca, professeur au département des sciences de la Terre et de l’atmosphère à l’UQAM.

« C’est le même phénomène qui se produit après une éruption volcanique qui relâche d’importantes quantités de dioxyde de soufre dans l’atmosphère », ajoute Kent Moore, professeur à l’Université de Toronto et spécialiste des changements climatiques.

Le dioxyde de soufre est aussi une source importante de pollution de l’air et a des impacts sur la santé humaine. En Chine, par exemple, on a réduit les émissions de dioxyde de soufre de plus de 70 % depuis 2005. Même scénario du côté du transport naval, où de nouvelles normes entrées en vigueur en 2020 ont permis de réduire de 80 % les émissions de cette substance polluante. Bref, c’est le parfait exemple d’un enjeu complexe, qui ne peut être cantonné à des réponses simplistes.

Si ce n’est pas nouveau, pourquoi en parler maintenant ?

Un récent reportage du Washington Post, intitulé « Nous avons accidentellement refroidi la planète – et cela va bientôt s’arrêter », abordait le sujet des aérosols comme le dioxyde de soufre et leur effet refroidissant. Le texte a été repris par plusieurs climatosceptiques, qui affirment en gros qu’il faut continuer à brûler du pétrole puisque ça permet de refroidir la planète…

Lisez l’article du Washington Post (en anglais ; abonnement requis)

La chroniqueuse Nathalie Elgrably a aussi partagé le reportage du Washington Post sur le réseau X en écrivant : « Donc, nous avons “refroidi la planète pendant que nous la réchauffons”. J’en déduis qu’au final, la température n’a pas changé. Excellente nouvelle ! Maintenant, il ne reste plus qu’à supprimer toutes les taxes que nous payons au nom de la “lutte aux changements climatiques”. »

C’est vrai que la température n’a pas changé ?

C’est faux. Les aérosols ont en quelque sorte masqué le réchauffement planétaire, mais la planète s’est bel et bien réchauffée depuis le début de l’ère préindustrielle, précise Kent Moore. « Les aérosols nous ont aidés dans les dernières décennies en masquant le réchauffement. Si on les enlève, le réchauffement sera plus important. »

Dans quelle proportion ce réchauffement serait-il plus important sans ces aérosols ?

Il ne semble pas y avoir de consensus sur la question. « Nous sommes dans une zone d’incertitude très profonde. Il pourrait s’agir d’un degré complet de refroidissement masqué », a déclaré le climatologue Zeke Hausfather au Washington Post.

« L’ampleur du refroidissement associé à nos émissions de dioxyde de soufre et d’autres aérosols est l’une des plus grandes incertitudes du système climatique et a de grandes implications sur l’ampleur du réchauffement que nous connaîtrons à l’avenir, à mesure que nous dépolluerons et que les émissions diminueront », a ajouté M. Hausfather sur X, le 25 juin dernier.

Alejandro Di Luca, de son côté, nous réfère au plus récent rapport du GIEC, qui évaluait en 2021 que le dioxyde de soufre avait un effet refroidissant d’environ 0,5 degré. Selon Kent Moore, le réchauffement pourrait être jusqu’à 40 % plus important sans ces aérosols.

Visualisez un graphique illustrant les facteurs anthropiques à l’origine du réchauffement (en anglais)

Donc, en réduisant nos émissions, il est vrai que nous accélérons le réchauffement…

À court terme, c’est en effet le cas, soutiennent les experts. Mais il faut aussi tenir compte de la durée de vie du CO2 et du SO2 dans l’atmosphère, mentionne Alejandro Di Luca. « Le CO2 va rester des centaines d’années dans l’atmosphère, tandis que pour le dioxyde de soufre, c’est beaucoup moins long », ajoute-t-il, en précisant que l’effet de ces aérosols sur le climat va s’estomper plus rapidement que dans le cas du CO2.

Il y a aussi une incertitude sur la façon dont le climat réagit à ces différents aérosols, conviennent les experts. « Notre meilleure solution, c’est de réduire nos émissions. Si nous continuons de brûler des combustibles fossiles, la planète va continuer de se réchauffer », affirme Kent Moore.