« Un peu plus haut, là-bas, en remontant le ruisseau, il y a des mûres. C’est le paradis pour les ours noirs. Il y a l’eau de source. Nous sommes chez eux, ici ; ce sont nous, les envahisseurs, pas les animaux, pas la nature », dit Arnold Raymond, en pointant à nos pieds les traces fraîches du passage d’un ours noir.

Le vieil homme a passé 45 ans de sa vie sur cette terre située sur le versant sud des monts Sutton, en Estrie, dans le corridor de ce qu’on appelle les montagnes Vertes. Il a décidé d’en léguer une bonne partie pour qu’elle demeure à l’état sauvage à perpétuité. Ainsi, 34 hectares de son territoire – l’équivalent de 214 patinoires de la Ligue nationale de hockey – ont été donnés à l’organisme Conservation de la nature Canada (CNC). La protection offerte par l’organisme fait en sorte qu’il sera à jamais interdit de chasser ou de camper dans cette zone, ou même d’en faire un parc, un lieu de villégiature.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

La terre est traversée par un ruisseau.

Couvert en bonne partie par la forêt, le territoire dorénavant protégé abrite une espèce d’oiseau rare, le pioui de l’Est (Contopus virens). Dans son ruisseau nage la salamandre pourpre, désignée vulnérable selon la Loi sur les espèces menacées ou vulnérables du Québec. Au fil des ans, M. Raymond a croisé des lynx et des chevreuils. Il croit même avoir aperçu un cougar. Mais c’est en pensant aux ours noirs qu’il a choisi de léguer cette terre au nom de ses beaux-parents, Hugh et Dorothy Sherrer, qui l’avaient achetée en 1949.

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Arnold Raymond

Je crois bien qu’une famille de cinq ours vit dans les environs. Je veux m’assurer qu’ils vont conserver leur maison.

Arnold Raymond

Au Québec, pas moins de 70 organismes ou fiducies acceptent des « dons écologiques » provenant d’individus, d’industries, de municipalités. Dans le cas de M. Raymond, c’est son agent immobilier qui l’a aidé dans les démarches au moment de la vente de l’ancienne ferme de ses beaux-parents. Une équipe accompagnée d’un biologiste s’est d’abord rendue sur les lieux pour constater la valeur de l’écosystème. CNC a financé les démarches de M. Raymond, allant de l’inventaire écologique à l’arpentage en passant par le certificat de localisation et l’évaluation de la propriété, jusqu’au cabinet du notaire.

En échange de la terre, les donateurs reçoivent un reçu pour don de charité qui donne droit à un crédit d’impôt.

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M. Raymond a fait ce « don écologique » à l’organisme Conservation de la nature Canada.

Caroline Petit est chargée de projet chez CNC. Elle explique que la mission de l’organisme est d’être le chien de garde des legs écologiques. Un réseau de bénévoles sillonne les terres protégées, notamment pour s’assurer qu’il n’y ait pas d’espèces envahissantes. L’organisme est financé par les gouvernements provincial et fédéral, ainsi que par des donateurs. Au-delà de la conservation des milieux naturels, CNC a un mandat de recherche et d’éducation.

« C’est grâce à des gens comme M. Raymond qu’on peut accélérer la conservation de la nature et avoir un impact sur la biodiversité. Les terrains sont de plus en plus chers, l’acquisition est un défi majeur même avec le soutien des gouvernements. C’est donc grâce à des dons de terrains qu’on espère atteindre nos objectifs de conservation d’ici 2030 et changer les choses », explique Mme Petit.

Au Québec, 76 815 hectares sur 1587 sites de conservation dits « volontaire » sont protégés, selon le Réseau de milieux naturels protégés. Une nouvelle carte est actuellement mise à jour. Dans l’ensemble du Canada, entre 1995 et 2016, près de 1300 dons écologiques ont été dénombrés par le gouvernement fédéral, surtout au Québec et dans les Prairies.

Dons de Lanaudière

Le dirigeant de l’organisme, Brice Caillé, estime que le nombre de dons peut sembler élevé, mais que ce n’est pas assez. « Beaucoup de terres ont été échappées. On le voit encore ces jours-ci pour Rabaska, à Lévis, où il y a des projets industriels malgré l’achat d’un des terrains par le gouvernement. Les municipalités doivent avoir plus de devoirs et de pouvoirs légaux de protection écologique », estime-t-il.

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Quelque 22 hectares d’un territoire montagneux ont été légués récemment à la Fiducie de conservation des écosystèmes de Lanaudière (FiCEL). La terre compte de nombreuses zones humides.

Le 6 juin dernier, à Sainte-Émélie-de-l’Énergie, la Fiducie de conservation des écosystèmes de Lanaudière (FiCEL) a célébré le plus grand don de terre à ce jour dans cette région : 223 hectares. Le don provient d’une citoyenne de Montréal, Linda Reven. Elle avait acquis le territoire montagneux, avec de nombreuses zones humides, mais dévastées par les coupes à blanc, il y a 22 ans. L’organisme protège, conserve et met en valeur 645 hectares dans 20 zones, de Mascouche à Saint-Zénon, plus au nord.

300

Nombre d’espèces animales recensées sur les terres protégées de la Fiducie de conservation des écosystèmes de Lanaudière, soit 35 % des 844 espèces répertoriées au Québec.

Source : FiCEL

Biologiste et dirigeante de la FiCEL, Marie-Pierre Thibeault explique qu’un vaste inventaire des insectes et des chauves-souris sera réalisé cet été sur leurs terres, dont plusieurs milieux humides. De 2018 à 2023, près de 80 espèces d’oiseaux ont été dénombrées, dont la paruline du Canada (Cardellina canadensis) et la grive des bois (Hylocichla mustelina), des espèces fragiles en vertu de la Loi sur les espèces en péril.

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La donatrice Linda Reven, entourée de Martin Héroux, maire de Sainte-Émélie-de-l’Énergie, et de Marie-Pierre Thibeault et Marie-Josée Berteau, respectivement directrice générale et directrice générale adjointe de la fiducie

« Il n’y a pas d’aménagement ni de coupe forestière sur nos terres, rappelle Mme Thibeault. Notre mission est de les protéger, nous effectuons des suivis biologiques. Et on a des bénévoles qui agissent comme anges gardiens, notamment pour empêcher les dépôts sauvages de déchets ou d’autres activités mettant en péril les écosystèmes. »

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