Les biologistes ont beau l’arracher, l’étouffer, l’empoisonner, c’est inutile ; le myriophylle à épis est devenu un irréductible envahisseur des lacs au Québec. Qualifié de plante « zombie », il est presque partout. À défaut de pouvoir l’éradiquer, des interventions complexes et coûteuses se multiplient encore cet été, pour au moins le contrôler.

Cette plante envahissante (Myriophyllum spicatum) s’est enracinée dans 184 lacs et 22 cours d’eau de la province, en 2023, selon la plus récente recension du ministère de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs (MELCCFP) transmise à La Presse. Les régions les plus envahies sont les lacs de villégiature de l’Estrie, des Laurentides et de l’Outaouais. Presque toutes les régions sont touchées, y compris celle de Montréal, indique le Ministère. Seules les régions de la Gaspésie et du Saguenay–Lac-Saint-Jean y échappent. Mais ce n’est qu’une question de temps, estiment les biologistes.

« Jamais la fin »

Avec une superficie d’une douzaine de kilomètres carrés, le lac Papineau, en Outaouais, est l’un des joyaux de la villégiature au Québec. Le lac est reconnu pour son eau cristalline, sa baignade. Il est prisé pour la navigation et la pêche au touladi (truite grise). Mais voilà que les frayères de ce poisson – l’endroit où il dépose ses œufs – seraient en train d’être avalées par le myriophylle à épis.

Le lac Papineau est un habitat de grande qualité pour les poissons. Les herbiers du myriophylle menacent cependant les frayères. Cet envahisseur est là pour rester, c’est une nuisance pour les écosystèmes.

Jérémie Isabelle, biologiste et chargé de projet dans la lutte contre les espèces envahissantes pour Rappel, une coopérative de solidarité de protection de l’eau

Le biologiste et son équipe ont arraché manuellement 423 livres de myriophylle à épis dans le lac Papineau depuis l’an dernier, pour les remonter sur un bateau dans des sacs hermétiques. Une bâche de 3600 mètres carrés, conçue à partir de 25 toiles, a été lestée. Le bâchage a servi en quelque sorte à écraser sept herbiers de plants envahissants dans ce lac.

  • Des biologistes, aidés par des riverains, mènent une opération de lutte contre le myriophylle à épis sur le lac Papineau, en Outaouais.

    PHOTO FOURNIE PAR LA COOPÉRATIVE RAPPEL

    Des biologistes, aidés par des riverains, mènent une opération de lutte contre le myriophylle à épis sur le lac Papineau, en Outaouais.

  • Les spécialistes utilisent des bâches pour lutter contre la plante envahissante.

    PHOTO FOURNIE PAR LA COOPÉRATIVE RAPPEL

    Les spécialistes utilisent des bâches pour lutter contre la plante envahissante.

  • Depuis l’an dernier, plus de 200 kg de myriophylle à épis, qui peut atteindre jusqu’à 6 mètres, ont été arrachés dans le lac Papineau.

    PHOTO FOURNIE PAR LA COOPÉRATIVE RAPPEL

    Depuis l’an dernier, plus de 200 kg de myriophylle à épis, qui peut atteindre jusqu’à 6 mètres, ont été arrachés dans le lac Papineau.

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Cette procédure a coûté à elle seule 120 000 $. Elle a été financée par le milieu riverain, secteur Boileau du lac, et a bénéficié d’une subvention de Conservation de la nature Canada (CNC). Selon des études menées par des experts du MELCCFP, le montant d’un hectare à traiter peut s’élever à 200 000 $. Plusieurs facteurs expliquent ces coûts, notamment la capacité de la plante envahissante à se reproduire seule, à partir d’un petit fragment de tige.

« Et ce n’est jamais la fin », précise le biologiste Jérémie Isabelle, de la coopérative Rappel, qui mène également des opérations aux deux lacs à l’eau claire, Stukely et Fraser, du parc national du Mont-Orford, un mandat attribué par la Société des établissements de plein air du Québec (SEPAQ).

« Il y a une lutte d’entretien à mener chaque année, il faut veiller à l’arrachage délicat des nouveaux herbiers. Dans certains lacs, on peut espérer parvenir sous le seuil de détection. Par exemple, on a de beaux résultats avec le petit lac O’Malley, près d’Orford, mais on ne pourra jamais parler d’une éradication totale. »

D’une revue scientifique à l’autre, le myriophylle à épis est décrit comme une plante avec des tiges ramifiées qui peuvent atteindre jusqu’à six mètres. La plante envahissante a l’habitude de se dresser jusqu’à ce qu’elle atteigne la surface. D’un vert peu ragoûtant, gluante, elle ne doit pas être confondue avec des algues ou d’autres espèces végétales. On retrouve le myriophylle dans des lacs, mais aussi dans les étangs naturels, artificiels, ainsi que dans des marais, les baies aux eaux calmes des rivières et du fleuve.

Eaux de lest et de légendes

Selon le ministère de l’Environnement, la plante a probablement été introduite en Amérique du Nord par les eaux de lest des navires en provenance d’Europe, d’Asie ou d’Afrique. D’autres hypothèses suggèrent qu’elle a été utilisée comme plante d’aquarium, ou transportée par des oiseaux migrateurs. Au Québec, elle est présente depuis au moins 1958.

Claude Lavoie est professeur et directeur de l’École supérieure d’aménagement du territoire et de développement régional de l’Université Laval. Il est spécialiste de l’écologie et de la gestion des plantes envahissantes. À ce titre, il a collaboré avec le ministère de l’Environnement pour rédiger le document de référence recensant le myriophylle à épis dans 184 lacs.

« Il y a toutes sortes de légendes plus farfelues les unes que les autres entourant le myriophylle à épis, explique Claude Lavoie. Par exemple, je déteste l’expression “zombie”. On a décidé de l’appeler comme ça parce qu’elle se fragmente naturellement pour s’enraciner. Mais la plante n’a jamais mangé personne, à ce que je sache. »

Ce qui est clair, c’est que la plante est introduite d’un lac à l’autre par les bateaux. Ça peut même être à cause d’une tige restée accrochée sur une planche à pagaie.

Claude Lavoie, professeur et directeur de l’École supérieure d’aménagement du territoire et de développement régional de l’Université Laval

M. Lavoie a étudié six méthodes pour lutter contre le myriophylle, en plus des interventions non éprouvées. Des hypothèses. L’une d’elles consiste à introduire un insecte herbivore, le charançon, mais des expériences menées à Lac-Supérieur ont été infructueuses. D’autant plus que l’insecte en question est prisé par certains poissons. Une autre consisterait à installer une plateforme émettrice de rayons ultraviolets, mais elle est controversée en raison de son impact destructeur environnemental. Il y aurait bien l’introduction d’une carpe de roseau, espèce vorace de cette plante, mais elle est considérée envahissante, et son introduction est « strictement interdite » au Québec.

« Je crois que les propriétaires riverains doivent se poser des questions sur leur niveau de tolérance. Peut-être devraient-ils se limiter à nettoyer les aires de baignade et veiller à faire des inspections visuelles des embarcations ? Parce qu’il y a peu de données démontrant que le myriophylle à épis est nocif pour les écosystèmes, pour les poissons », explique M. Lavoie.

Dans les lacs George et Upper Saranac, dans l’État de New York, une colossale opération d’arrachage a donné « un succès flamboyant », ajoute-t-il. Mais cet investissement d’envergure n’a pas permis d’éradiquer totalement la plante, rappelle M. Lavoie, et l’opération devra être répétée à perpétuité.

Consultez le site de la coopérative de solidarité en protection de l’eau, Rappel Consultez le guide Prévention et lutte contre le myriophylle à épis 2023
En savoir plus
  • Jusqu’à 250 000 $
    En 2021, le gouvernement du Québec a estimé qu’un projet « clés en main » de lutte avec bâchage (fibre de verre, jute) et arrachage, la méthode le plus couramment utilisée au Québec, se chiffrait entre 100 000 $ et 250 000 $ pour un hectare d’herbier sur une période de trois ans.
    ministère de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs
    35 heures
    Les fragments de myriophylle peuvent rester en vie jusqu’à 35 heures hors de l’eau.
    ministère de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs