Il fera 1 degré plus chaud dans les aires publiques du pavillon Pierre Lassonde du Musée national des beaux-arts du Québec, cet été. Peu perceptible pour les visiteurs, ce changement s’inscrit dans une réflexion mondiale menée par les grands musées sur leur consommation d’énergie.

En Europe, les réputés musées Guggenheim de Bilbao et Rijksmuseum d’Amsterdam ont assoupli leurs normes afin d’autoriser une plus grande variété de températures et de niveaux d’humidité dans certaines galeries, ce qui, rapporte le New York Times, leur permet d’économiser des milliers d’euros par mois.

Lisez l’article du New York Times (en anglais, abonnement requis)

Aux États-Unis, une soixantaine de musées californiens adhèrent au programme d’impact climatique de PST Art, qui encourage les institutions à minimiser leur impact environnemental.

L’idée que les œuvres d’art et artéfacts doivent être conservés dans des conditions extrêmement contrôlées est relativement nouvelle. Depuis la publication en 1978 de The Museum Environment par le conservateur Garry Thomson, les grands musées se sont mis à appliquer un contrôle strict des conditions climatiques, soit une température de 21 °C (plus ou moins 1 °C) et un taux d’humidité relative de 50 % (plus ou moins 3 %).

L’objectif était de protéger les objets les plus sensibles aux variations. En réalité, si on a des fluctuations légères, la très grande majorité des objets ne vont pas être perturbés.

Marianne Breault, conseillère en conservation préventive à l’Institut canadien de conservation (ICC)

Elle ajoute que la norme du 21 °C avait été suggérée pour le confort des visiteurs. Ainsi, diminuer légèrement la température à l’intérieur des musées canadiens en hiver permettrait des économies d’énergie tout en étant bénéfique pour les collections.

Marges de manœuvre sûres

Devant la remise en question de ces standards par des chercheurs, l’ICC a proposé aux musées canadiens, il y a une vingtaine d’années, des lignes directrices plus souples qui seront d’ailleurs actualisées prochainement. Mais la plupart ne tirent pas profit de ces marges de manœuvre considérées comme sûres pour les œuvres, selon Marianne Breault. « Le contrôle précis de l’environnement est devenu une quête pour les musées, un gage d’excellence. C’est complexe de combattre cette idée préconçue », constate-t-elle. D’autant plus que plusieurs collaborent avec d’autres institutions à l’international pour le prêt d’œuvres.

« Il y a ce jeu de qui va le faire en premier, mais depuis une dizaine d’années, on voit un intérêt grandissant. Avec les défis qui sont croissants et l’augmentation des coûts énergétiques, il faut s’adapter. »

PHOTO MARTIN TREMBLAY, ARCHIVES LA PRESSE

L’escalier intérieur du pavillon Pierre Lassonde, au Musée national des beaux-arts du Québec

Dans la province, le Musée national des beaux-arts du Québec (MNBAQ), par son statut de musée d’État, s’est vu imposer par le gouvernement provincial l’inclusion de l’économie d’énergie dans son plan d’action en développement durable.

On estime que c’est notre devoir de voir de quelles façons on pourrait assouplir ces normes [de contrôle environnemental] sans compromettre l’intégrité de nos collections. Les recherches à cet effet indiquent que c’est possible, dépendamment de la nature des œuvres.

Annie Bérubé, chargée de mission, projets spéciaux au MNBAQ

L’institution a pris la décision de revoir le taux d’humidité relative dans ses salles d’exposition. Autrefois fixé à 50 %, il est désormais de 45 % en hiver et 55 % en été, sauf lorsque des prêteurs d’œuvres exigent l’ancien standard. « Ça nous permet de suivre plus naturellement l’évolution des saisons et de réduire les dépenses énergétiques », note Annie Bérubé. Ces dépenses (électricité et gaz naturel) représentent environ 2,7 % du budget total du MNBAQ. L’impact financier de cette mesure n’a pas été chiffré pour le moment.

Le musée compte aussi réduire la climatisation en faisant passer la température de 21 °C à 22 °C dans les aires publiques du pavillon Pierre Lassonde. Pour l’instant, les salles d’exposition ne sont pas touchées, mais la réflexion se poursuit.

Le MBAM et le musée McCord Stewart en réflexion

Le Musée des beaux-arts de Montréal (MBAM) compte évaluer cette année « de façon très sérieuse » ce qu’impliquerait de revoir les règles strictes de températures et d’humidité relative dans ses bâtiments. « Il faut évaluer la capacité au niveau du bâtiment et de la machinerie, voir le type d’œuvres qu’on a dans chaque salle. Est-ce qu’on crée un microclimat pour certaines œuvres ? Est-ce qu’il faut qu’on rassemble les œuvres qui sont plus sensibles dans d’autres salles pour pouvoir garder d’autres types de standards ? », expose Carolina Calle Sandoval, chef de l’administration des expositions.

Le MBAM est d’ailleurs en discussion avec d’autres musées dans le monde pour connaître leurs pratiques.

Après avoir pris des mesures pour améliorer l’efficacité énergétique de ses deux bâtiments, le musée McCord Stewart réfléchit aussi au contrôle environnemental.

« On est en train de réviser la fourchette avec laquelle on est à l’aise », souligne Martine Couillard, cheffe des relations gouvernementales et institutionnelles et coresponsable du développement durable avec sa collègue Caroline Truchon. « On essaie de voir si, pour des biens moins fragiles, on pourrait assouplir les normes dans certaines de nos réserves. »

La réalité des musées québécois est différente de celle des musées européens, qui n’ont pas à composer avec nos hivers rigoureux, note Caroline Truchon, chargée de projet principale, Expositions. D’ailleurs, le musée McCord Stewart consomme davantage d’énergie à chauffer plutôt qu’à climatiser ses espaces, la consommation de gaz naturel étant beaucoup plus élevée en hiver et pratiquement inexistante en été.

« On essaie vraiment de réfléchir à comment on peut être plus sobre énergétiquement », ajoute Caroline Truchon.