Ottawa pourrait donner dès cette semaine le feu vert à un décret d’urgence imposant des mesures de protection de l’habitat du caribou forestier au Québec, où le grand cervidé « fait face à des menaces imminentes pour son rétablissement ».

Le ministre fédéral de l’Environnement et du Changement climatique Steven Guilbeault a informé lundi son homologue québécois Benoit Charette en être arrivé à la conclusion que « la portée des mesures actuellement mises en œuvre ou prévues pour protéger ou restaurer l’habitat de l’espèce [au Québec est] insuffisante » pour contrer les principales menaces auxquelles elle fait face.

L’habitat du caribou « a continué de se dégrader et les populations de décliner dans au moins cinq aires de répartition », et trois de ces populations font face à un degré de risque particulièrement élevé, soit celles de Val-d’Or, de Charlevoix et du Pipmuacan, à cheval sur la Côte-Nord et le Saguenay–Lac-Saint-Jean, analyse Ottawa.

« En vertu de la Loi sur les espèces en péril, je dois maintenant recommander à la gouverneure en conseil d’adopter un décret d’urgence pour protéger le caribou boréal » dans ces trois hardes, écrit le ministre Guilbeault.

Le conseil des ministres pourrait approuver cette idée dès mardi, ont indiqué à La Presse des sources au courant du dossier, une information qui n’a pas été confirmée par le cabinet du ministre Guilbeault.

S’il obtient le feu vert, le ministre mènera ensuite des consultations afin d’élaborer son décret, notamment pour dresser la liste des activités à interdire et la superficie des territoires ciblés, en vue d’une adoption dans les prochains mois.

La foresterie montrée du doigt

Les coupes forestières et les « chemins multiusages » qui en résultent sont les principales menaces à la survie du caribou forestier au Québec, conclut l’analyse d’Environnement et Changement climatique Canada.

« Ce sont les activités qui, à ce jour, ont le plus contribué à la perturbation de l’habitat dans les aires de répartition provinciales de l’espèce », écrit le ministre Guilbeault.

PHOTO DAVID BOILY, ARCHIVES LA PRESSE

L’analyse d’Ottawa conclut que l’habitat du caribou « a continué de se dégrader et les populations de décliner dans au moins cinq aires de répartition », et que trois de ces populations font face à un degré de risque particulièrement élevé, soit celles de Val-d’Or, de Charlevoix et du Pipmuacan.

Et ces menaces s’intensifient au lieu de diminuer, ajoute le ministre, qui craint que la population de caribous du Pipmuacan franchisse « le seuil de quasi-disparition » d’ici 10 ans, ce que les populations de Val-d’Or et Charlevoix ont déjà fait.

En revanche, le caribou forestier n’est pas menacé à l’échelle canadienne, « car il existe au Canada des populations locales qui sont considérées comme autosuffisantes, dont l’habitat est très peu perturbé et qui ne seraient pas affectées par les menaces survenant au Québec », souligne le ministre Guibeault.

Stratégie québécoise écorchée

Steven Guilbeault écorche par ailleurs les mesures de protection partielles annoncées par Québec le 30 avril pour les hardes de Charlevoix et de la Gaspésie.

« Je m’attendais à la publication d’une stratégie globale qui répondrait aux engagements pris publiquement par le gouvernement du Québec en août 2022 », écrit-il, évoquant notamment la réduction du taux de perturbation de l’habitat du caribou sous le seuil de 35 %.

« Je note également l’absence de plusieurs éléments essentiels, notamment des mesures pour les autres [hardes] », ajoute le ministre.

Je vous invite à publier le plus rapidement possible une stratégie ambitieuse pour l’ensemble des populations de caribou boréal au Québec.

Steven Guilbeault, ministre fédéral de l’Environnement et du Changement climatique

Québec déplore « l’acharnement » d’Ottawa

Le ministre de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs, Benoit Charette, a déploré « l’acharnement du gouvernement fédéral à l’égard du Québec dans ce dossier ».

Affirmant que le Québec protège le caribou davantage qu’ailleurs au Canada, le ministre Charette accuse Ottawa de vouloir ajouter des mesures de protection « sans même connaître les impacts socio-économiques d’une telle décision sur les régions forestières » de la province.

« Encore une fois, le gouvernement fédéral songerait à intervenir dans les compétences du Québec », critique le ministre Charette, dans une déclaration écrite transmise par son cabinet.

« Mais c’est un champ de compétence que le gouvernement du Québec doit assumer pleinement, et on ne peut pas dire que c’est le cas en ce moment », rétorque le biologiste Alain Branchaud, directeur général de la section québécoise de la Société pour la nature et les parcs, qui réclame depuis longtemps l’intervention d’Ottawa.

« On salue l’initiative, en particulier pour la harde du Pipmuacan, où il y a encore des possibilités de sauver l’état naturel [de l’habitat] des populations de caribou », dit-il, rappelant que les deux autres hardes vivent désormais en enclos.

« Le fédéral a mis des milliards sur la table pour la protection de la biodiversité, dit M. Branchaud, et le Québec ne va pas chercher ce qui devrait lui revenir. »

« Les deux paliers de gouvernement ont l’obligation légale de protéger les espèces menacées comme le caribou », a déclaré la directrice générale de Nature Québec Alice-Anne Simard, disant vouloir attendre la décision du conseil des ministres avant de commenter plus amplement.

Précision
Une version précédente de ce texte indiquait que le gouvernement fédéral pourrait adopter un décret dès cette semaine, or il pourrait plutôt donner le feu vert à la préparation d’un décret, qui serait adopté ultérieurement. Nos excuses.

Biodiversité : où est le plan du Québec ?

Le Québec se défend de ne pas apparaître dans la nouvelle stratégie du gouvernement fédéral pour freiner la perte de la biodiversité au pays. « La protection de la biodiversité est une compétence du Québec et c’est pourquoi nous rendrons public sous peu le Plan Nature 2030 visant l’atteinte des cibles mondiales, dont la cible de conservation de 30 % du territoire québécois », a indiqué Amélie Moffet, l’attachée de presse du ministre québécois de l’Environnement, Benoit Charette. Son homologue fédéral, Steven Guilbeault, avait ouvertement fait part de sa déception la semaine dernière face à l’absence du Québec dans la Stratégie pour la nature 2030 mise de l’avant par Ottawa. Le Québec est la seule province à ne pas avoir fourni son plan. Mme Moffett a rappelé que le gouvernement québécois est le premier au pays à avoir atteint les cibles de l’Organisation des Nations unies (ONU) en matière de protection du territoire. « Nous entendons demeurer un leader mondial en la matière », a-t-elle conclu. Le Plan Nature 2030 du Québec est doté d’un budget de 444 millions sur cinq ans pour sa mise en œuvre, soit jusqu’en 2027-2028.

Mylène Crête, La Presse

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  • 28 841 km2
    Superficie de l’aire de répartition de la harde de caribous du Pipmuacan
    Source : ministère des Ressources naturelles et des Forêts du Québec