En 2016, Québec a cédé un terrain de 62 hectares à un petit village beauceron pour en faire un espace vert. Huit ans plus tard, les élus de Saint-Simon-les-Mines ont autorisé « pour une raison monétaire » la coupe de milliers d’arbres dans un secteur à haute valeur écologique. La municipalité risque de recevoir une amende pour avoir enfreint une loi fédérale destinée à protéger les oiseaux migrateurs.

Ce qu’il faut savoir

La municipalité de Saint-Simon-les-Mines, en Beauce, veut vendre le bois coupé sur un terrain cédé par Québec en 2016 à condition qu’elle en fasse un espace vert.

Le secteur est considéré comme ayant une forte valeur écologique, selon des organismes de conservation.

La municipalité s’expose à des amendes pour avoir enfreint une loi fédérale destinée à protéger les oiseaux migrateurs.

« Sachez qu’abattre des arbres pour abattre des arbres, on n’a pas intérêt à faire ça. La seule raison pourquoi on a décidé de le faire, c’est une raison monétaire pour la municipalité. On administre des sous, malheureusement », a répondu le maire de Saint-Simon-les-Mines, André Lapointe, à la dernière rencontre du conseil municipal, le 4 juin.

Le maire répondait alors à une question d’un citoyen au sujet d’une opération d’abattage d’arbres sur un terrain appartenant à la municipalité, terrain situé à proximité d’une aire protégée privée, la réserve naturelle de la Cumberland, reconnue par le ministère de l’Environnement.

« Ce qu’on a calculé avec cette coupe, on pourrait retirer un 100 000 $ net facilement », a précisé le magistrat en entrevue avec La Presse. Or, l’entrepreneur embauché par la municipalité n’a pu couper que 2 hectares sur les 26 qui étaient prévus, souligne M. Lapointe.

Rogner les ailes à la coupe

Le 27 mai dernier, la municipalité a annoncé qu’elle suspendait « temporairement la coupe de régénération » sur son lot afin de respecter la Loi de 1994 sur la convention concernant les oiseaux migrateurs. La loi fédérale prévoit notamment qu’il est interdit de détruire des nids d’oiseaux pendant la période de nidification au pays.

Un porte-parole d’Environnement Canada a confirmé à La Presse qu’un ordre verbal et écrit a été transmis à la municipalité pour mettre fin à l’opération de coupe d’arbres. « S’ils [les agents] constatent des infractions présumées, les agents agiront selon la politique de conformité et d’application de la loi », précise Samuel Lafontaine. Précisons que les agents fédéraux ont récupéré le corps d’un oisillon mort après la coupe des arbres.

PHOTO FOURNIE PAR UN CITOYEN DE SAINT-SIMON-LES-MINES

Arbres coupés à Saint-Simon-les-Mines au cours d’une opération censée rapporter 100 000 $ à la municipalité

« Ç’a été fait de bonne foi. […] Cette loi-là, on ne la connaissait pas. On sait qu’il y a des espèces protégées quelque part au Québec, mais de là à savoir que cette loi-là avait autant de mordant que ça, on ne le savait pas. On l’a appris », résume le maire.

La municipalité dit vouloir reprendre l’opération de coupe après le 16 août, pour se conformer à l’ordre d’Environnement Canada.

Un cadeau assorti de conditions

En 2016, ce lot avait été cédé gratuitement à Saint-Simon-les-Mines par son ancien propriétaire, le ministère de l’Énergie et des Ressources naturelles (MERN). Le contrat notarié prévoit que « la cession est consentie gratuitement à des fins de parc municipal-espace vert ». Il est également prévu que le lot ne peut être utilisé à d’autres fins ni être vendu sans l’autorisation du Ministère pendant une période de 30 ans.

En octobre 2021, Saint-Simon-les-Mines avait d’ailleurs adopté une résolution afin de négocier la vente du lot à un organisme de conservation, Capital Nature, qui se disait prêt à en faire l’acquisition. Une autre résolution proposée par André Lapointe, alors conseiller municipal, appuyait la création d’une aire protégée sur le terrain visé.

PHOTO FOURNIE PAR UN CITOYEN DE SAINT-SIMON-LES-MINES

Selon une étude, le lot a une « forte valeur écologique » où l’on retrouve des espèces en péril.

Selon le directeur général de Capital Nature, David Viens, il n’y a pas eu de véritables négociations avec la municipalité puisque le MERN s’opposait à l’idée que Saint-Simon-les-Mines puisse vendre le terrain qui lui avait été offert gratuitement.

« En 2016, lorsqu’ils ont cédé le terrain [à la municipalité], l’objectif était de sortir ce lot de la possibilité forestière, de le protéger », soutient M. Viens.

De l’or vert

« Leur point, c’est qu’on s’est fait donner la terre, il faudrait qu’on la redonne. Nous, on n’est pas d’accord avec ça. Si tu hérites de ton grand-père d’une terre à bois, t’es pas obligé de la donner. C’est un peu le même principe », affirme le maire André Lapointe. « C’est un terrain qui semble avoir de la valeur, ajoute-t-il. De leur part [Capital Nature], c’est parce que c’est une forêt mature. De notre part, c’est une forêt qui est due pour être éclaircie. »

Une étude réalisée en 2015 par l’organisme Corridor appalachien pour le compte de l’Association pour la protection des milieux humides de la Cumberland avait ciblé le lot comme ayant une « forte valeur écologique ». « On y retrouve plusieurs espèces à statut, dont le pioui de l’est et la paruline du Canada [deux espèces inscrites au registre fédéral des espèces en péril] », signale le président de l’association, Jean Poulin.

De son côté, le ministère des Ressources naturelles dit prendre « très au sérieux la dénonciation des travaux d’aménagement forestier en cours sur le lot ». Dans une communication écrite obtenue par La Presse, la conseillère en gestion du territoire public, Marie-Ève Paré, indique qu’une visite des lieux sera effectuée dans la semaine du 17 juin. Le Ministère entend également vérifier « si les actions posées par la municipalité contreviennent à la clause restrictive inscrite à l’acte [notarié] ».

« Je ne vois pas où est le bris de contrat. Le parc municipal-espace vert, on n’a jamais dit qu’on ne le ferait pas. […] Oui, ils peuvent trouver ça agaçant, mais dans la vie, ça arrive, des choses agaçantes », répond le maire Lapointe.