Après l’Assemblée nationale française, le Sénat a adopté jeudi dernier une proposition de loi pour restreindre la fabrication, l’importation et la vente de produits contenant des PFAS. Un vote qui place la France à l’avant-garde de cette lutte contre ces polluants tenaces qualifiés d’éternels.

C’est quoi, les PFAS ?

Les PFAS sont des substances perfluoroalkyliques et polyfluoroalkyliques. Il s’agit d’une grande famille qui compte des milliers de molécules chimiques. Parce qu’elles possèdent des qualités exceptionnelles (imperméables, antiadhésives, stables à la chaleur), elles sont utilisées dans une multitude de produits : cosmétiques, manteaux de plein air, poêles antiadhésives, emballages alimentaires, mousse anti-incendie. Utilisés depuis les années 1950, les PFAS s’accumulent dans l’environnement et sont dorénavant présents dans l’eau potable, la nourriture, l’air et dans le sang de 99 % des Canadiens ⁠1.

Pourquoi la France veut-elle les interdire ?

On sait depuis une vingtaine d’années que les PFAS s’accumulent chez les mammifères marins et les grands prédateurs. « Ce qui est nouveau et qui évolue rapidement depuis une dizaine d’années, c’est de réaliser à quel point ils s’accumulent chez l’humain et qu’ils ont une multitude d’impacts sur la santé », souligne Sébastien Sauvé, professeur en chimie environnementale à l’Université de Montréal.

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Sébastien Sauvé, professeur en chimie environnementale à l’Université de Montréal

En France, la contamination des eaux par les PFAS a souvent fait la manchette au cours des dernières années.

Quels sont les effets nocifs ?

En 2022, les National Academies of Sciences, Engineering, and Medicine ont publié un rapport recensant l’ensemble de la littérature épidémiologique sur les PFAS. Le professeur à l’École de santé publique de l’Université de Montréal Marc-André Verner y a contribué. « La conclusion du comité est qu’il y a suffisamment d’études pour soutenir une association entre l’exposition [aux PFAS] et une réduction de la réponse immunitaire aux vaccins, une réduction de la croissance fœtale, une dyslipidémie [augmentation du cholestérol sanguin] et une augmentation du risque de cancer du rein », indique-t-il.

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Marc-André Verner, professeur à l’École de santé publique de l’Université de Montréal

Bien que les risques augmentent avec l’exposition, aucun seuil sûr n’a pu être établi. « On présume qu’il n’y a pas de niveau d’exposition qui soit sans risque », ajoute M. Verner.

Aucun nouveau PFAS ne pourra donc être introduit sur le territoire français ?

Pas tout à fait. À partir de 2026, les PFAS seront interdits pour quatre types de produits : les emballages alimentaires, les cosmétiques, les produits de fartage et les textiles. À compter de 2030, ils seront prohibés pour l’ensemble des autres usages, sauf exception. Avant que la loi soit promulguée, elle devra faire l’objet d’un dernier vote à l’Assemblée nationale, en deuxième lecture.

Quelles sont ces exceptions ?

Les ustensiles de cuisine avaient été retirés de la proposition de loi du député écologiste Nicolas Thierry, qui a été adoptée par l’Assemblée nationale le 4 avril dernier. Le groupe Seb, qui possède la marque Tefal, et ses employés se sont opposés au projet de loi, vu comme une menace pour leurs emplois.

Les textiles d’usage militaire et industriel, les mousses anti-incendie et les produits qui présentent des taux de concentration « résiduels » sont aussi exemptés.

Le projet de loi prévoit également l’instauration d’une taxe visant les industriels dont les activités entraînent des rejets de PFAS et l’obligation de contrôler systématiquement la présence de ces substances dans l’eau potable.

« Il faut vraiment que ces usines fassent très attention à leurs procédés pour qu’ils soient non dispersifs et qu’elles s’assurent d’arrêter la contamination autour », met en garde Sébastien Sauvé, qui a signé, dans Le Monde, aux côtés de plusieurs autres scientifiques, une tribune pour appeler le Sénat à ne pas affaiblir davantage le texte de loi.

Lisez l’article du Monde

Que font les autres pays ?

Des discussions ont lieu aux États-Unis, au Canada et dans l’Union européenne pour restreindre l’utilisation des PFAS. « Pour le moment, ce sont des discussions, constate Sébastien Sauvé. La France a bougé vite. On peut ne pas être d’accord avec toutes les exceptions, mais, dans l’ensemble, c’est un message fort. »

Au Canada, seuls certains types de PFAS – les plus connus – sont interdits (PFOA, PFOS, les PFAS à longue chaîne). Le gouvernement ne prévoit pas pour l’instant les bannir, mais envisage de les considérer comme une classe de substances, vu la difficulté de les étudier une à une. Santé Canada doit aussi annoncer prochainement une norme plus restrictive quant à la concentration de PFAS dans l’eau potable, mais celle-ci ne sera pas contraignante.

Une étude, menée par Sébastien Sauvé et son équipe, a démontré des niveaux de PFAS dépassant cette future norme de 30 nanogrammes par litre (ng/L) dans cinq municipalités québécoises entre 2018 et 2020.

Lisez l’étude menée par Sébastien Sauvé (en anglais)

Bannir tous les PFAS à la source est-il la meilleure approche ?

Pour Marc-André Verner et Sébastien Sauvé, il faut à tout le moins en cesser les utilisations non essentielles telles que les cosmétiques hydrofuges, les emballages alimentaires cirés et les traitements antitaches pour sofas et tapis. D’autres usages, comme les batteries pour véhicules électriques et certains produits biomédicaux, sont plus difficiles à remplacer.

« Il faut avoir une approche de précaution si on veut s’assurer qu’on n’expose pas les gens de façon non nécessaire à des composés qui sont toxiques, soutient M. Verner. Mais si on les bannit, il faut s’assurer qu’on travaille avec l’industrie pour éviter que ce qui va remplacer les PFAS soit toxique. »

1. Lisez l’ébauche du rapport sur l’état des PFAS