Manque de transparence, absence d’« imputabilité », lois désuètes et volonté politique presque inexistante. Les scientifiques qui conseillent le ministre de l’Environnement pour assurer la protection des espèces menacées recommandent une révision majeure du cadre législatif québécois, devenu carrément inefficace.

Une critique sévère

Cinq des six membres du Comité aviseur sur les espèces fauniques menacées ou vulnérables du Québec viennent de publier un article dans la revue scientifique FACETS, publication officielle de la Société royale du Canada. Le texte critique sévèrement les nombreux échecs du gouvernement du Québec à protéger ses espèces menacées et propose « neuf recommandations urgentes afin de rendre plus efficaces les efforts de conservation des espèces en situation précaire sur le territoire québécois ». Les signataires sont Fanie Pelletier, Pierre Dumont, Joanie Van de Walle, Daniel Jauvin et David Rodrigue, tous nommés par le ministre de l’Environnement, Benoit Charette, en 2022.

« Rien n’a changé »

PHOTO FRANÇOIS ROY, ARCHIVES LA PRESSE

Le biologiste David Rodrigue est l’un des membres du Comité aviseur sur les espèces fauniques menacées ou vulnérables du Québec.

Pour le biologiste David Rodrigue, ce texte dans FACETS, et ses neuf recommandations, est en quelque sorte une ultime tentative pour faire bouger les choses au gouvernement du Québec. Malgré quelques annonces faites par Québec au moment de la COP15 sur la biodiversité, qui s’est tenue à Montréal en décembre 2022, il juge qu’il y a toujours une absence de volonté politique pour protéger les espèces vulnérables. Il y a aussi un cadre législatif inefficace que le gouvernement Legault semble peu pressé de moderniser, souligne-t-il. « On a exposé quelques problèmes publiquement en 2022 et le gouvernement a réagi. Mais on est revenus au même point, on n’a rien changé dans le fond », constate David Rodrigue.

Des problèmes de transparence et d’« imputabilité »

« Trois des principaux obstacles à la protection des espèces sauvages en situation précaire au Québec sont l’absence de transparence, la lenteur du processus de désignation et le manque d’imputabilité du ou de la ministre responsable face aux décisions relavant de ce processus », écrivent les auteurs de l’article intitulé « Cadre législatif québécois pour la protection des espèces sauvages en situation précaire : évaluation, critique et recommandations pour une révision majeure ». Alors qu’au fédéral, les recommandations des comités chargés de conseiller le gouvernement sont publiques, le processus est totalement opaque au Québec. Les recommandations du comité sont transmises au sous-ministre responsable, qui peut les accepter ou les refuser sans aucune justification ni communication publique, signale-t-on.

S’inspirer du modèle fédéral

Si la première recommandation des scientifiques vise la transparence, la deuxième s’attaque au manque de responsabilité du ministre. En effet, le ministre Benoit Charette n’a actuellement aucune obligation de désigner officiellement une espèce comme menacée ou vulnérable après une recommandation de son comité. Au fédéral, le ministre responsable a neuf mois pour rendre sa décision, faute de quoi la recommandation du Comité sur la situation des espèces en péril au Canada (COSEPAC) est officiellement déployée. Des délais légaux plus stricts sont aussi requis au Québec pour la désignation des espèces, plaide-t-on. On suggère d’ailleurs une révision en profondeur de la Loi sur les espèces menacées ou vulnérables, de la Loi sur la conservation et la mise en valeur de la faune et des règlements qui en découlent.

Un « contraste majeur » entre Québec et Ottawa

Selon David Rodrigue et Fanie Pelletier, professeure au département de biologie de l’Université de Sherbrooke, la transparence est l’élément clé de toute réforme des mécanismes de protection des espèces menacées au Québec. « Je siège au COSEPAC depuis plusieurs années et il y a un contraste majeur entre Québec et le fédéral », affirme Mme Pelletier. Mais Québec pourrait rapidement changer la donne côté transparence, avance-t-elle. « On n’a pas besoin de changer la loi pour ça. Ça pourrait arriver dès demain avec une volonté politique. » Pour les deux experts, la suite des choses risque d’influencer leur décision de continuer ou non leur travail au comité consultatif. « Si rien ne change, ils vont avoir de la misère à trouver du monde [pour siéger au comité] », affirme Fanie Pelletier.

Lisez l’article de FACETS et ses neuf recommandations