L’hiver dernier, il n’était pas question pour Justin Trudeau de faire une « marche dans la neige », suivant les célèbres traces de son père qui avait remis sa démission comme premier ministre du Canada après une promenade hivernale en 1984.

Justin Trudeau est-il maintenant prêt pour une marche… dans le sable ?

Certains libéraux aimeraient que leur chef réfléchisse à son avenir, après avoir perdu la forteresse de Toronto–St. Paul’s lors d’une élection partielle à la fin de juin. Et ils ne se cachent plus pour le dire publiquement, brisant la belle unité libérale.

L’ancienne ministre de l’Environnement, Catherine McKenna, a lancé la première flèche, suivie par le député du Nouveau-Brunswick, Wayne Long. Neuf autres députés ont aussi réclamé par écrit une réunion du caucus pour discuter des résultats « extrêmement préoccupants » de cette élection « que le Parti libéral n’aurait pas dû perdre ».

Mais du côté de Justin Trudeau, c’est le silence radio. Reste-t-il en selle par surplus de confiance ou par aveuglement volontaire ?

Le hic, c’est qu’il n’y a pas de successeur plus populaire pour reprendre le flambeau. La marque de commerce libérale est très associée à Justin Trudeau, qui a misé sur sa personnalité pour reconstruire le parti qui était dans les bas-fonds à son arrivée en 2013.

C’était une arme à double tranchant, car après neuf ans de pouvoir, la marque Trudeau est usée. Le désir de changement est un ennemi implacable. Le style de leadership du premier ministre est essoufflé. Ses idées retombent à plat.

Il a bien essayé de retrouver son élan. Mais son remaniement ministériel de l’été dernier n’a pas ému les Canadiens. Et le long « strip-tease » qui a entouré le dévoilement du dernier budget n’a pas aguiché davantage les électeurs.

Rien n’a fait bouger l’aiguille dans les sondages. Même les jeunes qui avaient porté Justin Trudeau au pouvoir sont maintenant séduits par la droite.

Aujourd’hui, plus des deux tiers des Canadiens (68 %) estiment que le premier ministre devrait partir, selon la firme de sondage Ipsos.

Mais avec ou sans un nouveau chef, il est clair que la pente sera très difficile à remonter pour les libéraux qui traînent 15 à 20 points derrière les conservateurs, bien alignés pour une victoire majoritaire.

Si les carottes sont cuites, à quoi bon gaspiller un nouveau chef en l’envoyant à l’abattoir ? Personne ne veut subir le triste sort de Kim Campbell, qui avait pris le relais après la démission de Brian Mulroney. Elle avait ensuite subi un terrible balayage qui n’avait laissé que deux députés au Parti conservateur.

Que Justin Trudeau parte ou qu’il reste ne réglera pas les problèmes de fond, car la grogne n’est pas seulement liée au chef. Et la liste de doléances des Canadiens est longue.

Dépensant toujours plus que prévu, le parti n’a jamais présenté un budget équilibré, même lors des belles années.

Depuis qu’il a pris le pouvoir, la bureaucratie a gonflé de 40 %, soit 100 000 fonctionnaires. Et les scandales du type ArriveCAN ajoutent à cette vilaine impression de gaspillage de fonds publics.

Avec la centralisation du pouvoir dans le bureau du premier ministre, l’appareil de l’État a du mal à livrer les services de base à la population (passeports, subventions1, etc.) et à faire les gestes les plus simples, comme nommer des juges, menaçant le bon fonctionnement des tribunaux.

Le Parti libéral doit donner un coup de barre s’il veut convaincre les électeurs de lui confier un autre mandat. Il ne peut pas se contenter de voguer dans la continuité, en diabolisant les périls de la droite.

Les résultats des élections européennes et du premier tour des élections législatives en France ont clairement démontré que les électeurs ne craignent pas de voter pour les partis d’extrême droite. Le président français, Emmanuel Macron, a commis une terrible erreur en les mettant au défi.

Au Canada, le Parti libéral devra se relever sérieusement les manches pour contrer les conservateurs de Pierre Poilievre.

Les libéraux pourraient commencer par se recentrer, eux qui se sont déplacés à gauche de l’échiquier pour assurer leur survie politique, grâce à une alliance avec le Nouveau Parti démocratique (NPD).

Pour redistribuer la richesse, encore faut-il en créer.

Or, depuis des décennies, le Canada est un cancre en matière de productivité. En conséquence, notre niveau de vie décline par rapport à celui des autres pays. À terme, cela pèse sur la capacité de l’État à financer les services publics et sur la capacité des ménages à améliorer leur pouvoir d’achat.

Alors que les régimes autoritaires montrent leurs dents, Ottawa devrait aussi prendre sa défense nationale plus au sérieux. Le Canada ne peut pas avoir une voix forte à l’international en continuant de faire moins que sa part avec ses alliés de l’OTAN.

Les bonnes relations, ça se cultive. À l’international, comme à l’intérieur du Canada. Mais que ce soit par arrogance ou indifférence, les libéraux ont aussi négligé leurs relations avec les premiers ministres provinciaux, minant ainsi l’harmonie nationale. Immigration, logement, santé… Les meilleures solutions passent pourtant par la collaboration.

Si l’homme des «  voies ensoleillées » n’arrive plus à briller, à inspirer ses troupes et la population canadienne, Justin Trudeau devra prendre une marche dans le sable.

1. Lisez « Encore plusieurs mois d’attente pour recevoir son chèque »