Nous sommes en 1965. Le médecin en chef des États-Unis vient de déposer un rapport percutant sur la cigarette. Le Congrès américain décide d’apposer sur les paquets un avertissement prévenant que fumer peut « être dangereux pour la santé ».

Avançons le curseur jusqu’en 2024. Le médecin en chef des États-Unis sonne à nouveau l’alarme sur un produit qui peut créer l’accoutumance : les réseaux sociaux. Comme pour la cigarette, il réclame un avertissement obligatoire prévenant les parents des « dangers importants » sur la « santé mentale des jeunes ».

Sans l’ombre d’un doute, il s’agit d’une véritable crise de santé publique qu’on doit prendre beaucoup plus au sérieux.

Au-delà de trois heures par jour sur les réseaux sociaux, les adolescents courent deux fois plus de risques de souffrir de problèmes de santé mentale, expose le médecin en chef des États-Unis dans une lettre ouverte publiée dans le New York Times, lundi1.

Anxiété, dépression, automutilation, suicide… les jeunes ne vont pas bien. Si certains experts estiment que le lien de cause à effet avec les réseaux sociaux n’est pas prouvé, il n’en reste pas moins que les indicateurs se sont détériorés depuis que le téléphone mobile est entré dans nos vies.

Il y a urgence. Il faut agir.

Le gouvernement du Québec a donc bien fait de lancer une « Commission spéciale sur les impacts des écrans et des réseaux sociaux sur la santé et le développement des jeunes ». Il est réjouissant de savoir que des députés des quatre grands partis travaillent main dans la main dans le cadre de cet exercice transpartisan, ce qui permettra de prendre des décisions réfléchies dans l’intérêt supérieur des enfants.

Faut-il imposer une « majorité numérique » à 16 ans qui forcerait les jeunes à obtenir le consentement des parents pour ouvrir un compte ? Sept Québécois sur dix appuient cette mesure, selon un sondage SOM réalisé pour La Presse. Mais la formule a ses limites. Après avoir légiféré en ce sens, la France peine à mettre la mesure en pratique faute de consensus sur le moyen de vérifier l’âge.

Est-il préférable d’imposer un avertissement sur les plateformes des réseaux sociaux, comme le suggère le médecin en chef des États-Unis ? Pour la cigarette, cette approche, combinée à d’autres mesures, a été un succès. La proportion de fumeurs chez les adultes américains a fondu de 42 % à 12 % au cours des six dernières décennies.

Mais si on veut que les jeunes lâchent leur téléphone mobile, on pourrait commencer par les laisser jouer dehors.

Il est inconcevable que des centres de services scolaires et des villes empêchent les enfants de jouer au ballon-poire dans la cour de récréation ou au basketball dans un parc aménagé à cet effet, parce qu’une poignée de voisins se plaignent que ça fait trop de bruit2, 3.

Il est aberrant de voir des municipalités prendre un malin plaisir à interdire aux jeunes de jouer au hockey ou au ballon dans la rue, une tradition qui n’a pourtant jamais fait mal à personne.

À Les Cèdres, par exemple, « ceux qui veulent jouer dans la rue doivent remplir un formulaire, faire signer 66 % des résidants de leur rue, présenter leur demande au directeur des loisirs qui l’analysera et la transmettra au conseil municipal pour qu’il se prononce. La procédure doit être effectuée chaque année », comme le détaillait récemment mon collègue Philippe Teisceira-Lessard4.

Un à zéro pour la bureaucratie municipale !

Peut-on simplement faire appel au bon jugement des parents pour déterminer s’il est sécuritaire de laisser jouer leur enfant dans la rue ?

Peut-on laisser les jeunes faire du sport et socialiser au lieu de les menacer d’une amende allant jusqu’à 1000 $ ?

Comme société, nous avons nos devoirs à faire pour aider les jeunes à décrocher des écrans. Comme parents aussi.

Au Québec, une mère de bébé sur cinq (21 %) passe cinq heures ou plus devant un écran (en dehors de son travail). Chez les pères, la proportion est de 12 % la semaine et de 24 % la fin de semaine, selon l’enquête Grandir au Québec, diffusée la semaine dernière par l’Institut de la statistique du Québec (ISQ)5.

Malheureusement, cela crée de l’interférence dans la relation parent-enfant. En fait, 18 % des mères et 15 % des pères se disent très distraits par leur écran lorsqu’ils sont avec leur bébé.

Des études démontrent aussi que plus les parents passent d’heures devant un écran, plus les scores de développement de leurs enfants d’âge préscolaire sont faibles.

L’idée n’est pas de culpabiliser qui que ce soit, mais de réaliser que nos comportements, comme adultes, servent de modèles aux enfants qui apprennent par imitation.

Les parents ont un rôle crucial à jouer pour éduquer les jeunes à faire un usage sain des écrans qui occupent désormais une place centrale dans nos vies, pour le meilleur et pour le pire.

Hier, la cigarette. Aujourd’hui, les réseaux sociaux.

Il est temps que les parents – et la société dans son ensemble – se mobilisent pour contrer les effets négatifs des écrans sur les jeunes.

1. Lisez la lettre d’opinion du New York Times 2. Lisez l’article « Un terrain de basketball fermé à cause d’une pétition de 35 signatures à Belœil » 3. Lisez l’article « Des installations de ballons-poires cadenassées dans un parc-école de Pointe-Calumet » 4. Lisez l’article « Les Cèdres : un permis nécessaire pour jouer dans la rue » 5. Consultez l’enquête Grandir au Québec