Maxwell Smart aimerait que l’on n’oublie jamais le courage et la bienveillance de ceux à qui il doit sa vie.

« Il y a des gens qui sont bons, qui m’ont aidé », dit-il, avec une infinie reconnaissance dans le regard.

Parmi eux, Jasko Rudnicki, un fermier polonais chrétien qui a risqué sa vie et celle de sa famille pour sauver celle de l’enfant juif. Même s’il était lui-même très pauvre, Jasko partageait avec lui le peu qu’il avait afin qu’il ne meure pas de faim en forêt. C’était un Juste parmi les Nations, bien que Maxwell, à son grand regret, n’ait pas réussi à le faire reconnaître officiellement comme tel, étant l’unique témoin de sa bravoure.

Si je n’avais pas eu Jasko, je ne serais pas en vie. Je pouvais gérer ma solitude. Mais on ne peut pas gérer la faim… C’est impossible ! Je ne pouvais pas aller dans un magasin, car on m’aurait tué. Je ne pouvais être vu nulle part. Alors comment aurais-je pu me nourrir ?

Maxwell Smart

Avant que Maxwell soit forcé de trouver refuge dans la forêt, le fermier avait accepté de l’accueillir chez lui en cachant sa véritable identité. Lorsque des policiers ont frappé à sa porte, le soupçonnant de cacher des Juifs et le menaçant de mort, Jasko a tout nié. Sentant qu’il devenait trop dangereux que son secret soit éventé, le fermier a demandé à Maxwell de se trouver un abri dans les bois et de ne plus s’approcher de sa maison le jour. Avant de le laisser partir, il lui a appris des techniques de survie. En catimini, il a continué à lui offrir du pain et du lait.

Maxwell Smart croit qu’il n’aurait jamais pu survivre non plus sans Janek, un enfant juif dont les parents avaient été tués qu’il a rencontré un jour dans la forêt. Cela faisait deux nuits qu’il marchait seul. Il était affamé et tremblait de peur. Maxwell a partagé avec lui une de ses précieuses tranches de pain qu’il pouvait faire durer une semaine.

« Il m’a dit qu’il avait 9 ans, mais il m’a semblé plus jeune encore. Il m’a dit : “Je suis maintenant seul, mais je t’ai trouvé.” »

La rencontre avec Janek a été salvatrice pour Maxwell, qui était en train de céder à la colère et au désespoir, seul dans les bois, réduit à survivre comme un animal traqué. Il envisageait d’aller au village, ce qui équivalait à se rendre.

« Quiconque m’aurait vu, avec mon allure, aurait appelé la police et je me serais fait prendre. Et une fois que l’on venait vous chercher, il n’y avait pas de retour possible. Si je n’avais pas eu Janek, c’est ce que j’aurais fait… Mais Janek a pris soin de moi. Sa présence m’a apaisé. J’avais quelqu’un à qui parler », dit l’homme, le regard ému.

Maxwell a enseigné à Janek les leçons de survie apprises en forêt. Il lui a montré comment distinguer les champignons comestibles des espèces toxiques. Ils se sont construit ensemble un nouvel abri. Mais le plus important, dit-il, c’est surtout qu’ils ont pu, ensemble, redevenir des enfants.

Avec tous les problèmes que nous avions, nous aimions jouer ! On jouait dans l’eau, on riait ensemble. Nous étions des enfants. On n’avait rien à voir avec la guerre !

Maxwell Smart

Ils n’avaient rien à voir avec la guerre. Mais ils en subissaient la cruauté.

Un jour d’hiver, à l’aube, Maxwell et Janek ont été réveillés par des cris, des pleurs et des coups de feu. Près de la rivière, une scène d’horreur les attendait. Un massacre avait eu lieu. Des corps étaient dispersés. Sous eux, la neige était devenue rouge sang. Maxwell a remarqué un corps qui bougeait de l’autre côté de la rivière. C’était un bébé dans les bras gelés de sa mère qui avait vraisemblablement été tuée d’une balle dans le dos alors qu’elle tentait de fuir.

Ensemble, Maxwell et Janek ont sauvé le bébé et ont pu le confier à sa tante, qui était cachée dans les bois. Mais Janek n’a pas survécu à l’opération de sauvetage. L’abri qu’ils avaient construit dans les bois est devenu sa tombe. Et Maxwell est devenu inconsolable.

À la fin de la guerre, lorsque Maxwell a pu sortir de la clandestinité pour enfin vivre sans peur, il n’avait pas le cœur à la fête. Son ami était mort en sauvant un bébé inconnu, opération dans laquelle il l’avait lui-même entraîné.

« Janek était venu à moi pour m’aider à survivre et il est mort… Je me sentais si coupable d’avoir tué mon meilleur ami pour quelqu’un dont je ne savais absolument rien. »

Pendant 70 ans, n’ayant aucune nouvelle de cette enfant qu’ils avaient sauvée, Maxwell doutait même qu’elle ait survécu à la guerre. Jusqu’à ce que, en 2019, dans la foulée du documentaire Cheating Hitler auquel il a participé, il la retrouve.

Cela a atténué mon sentiment de culpabilité. Pas complètement… Mais cela a fait de Janek un héros dans cette aventure. Je suis heureux pour cette fille. Elle a pu se marier, fonder une famille. Elle a des petits-enfants.

Maxwell Smart

Il reste malgré tout en lui une douleur qui n’a jamais disparu. « Janek était mon seul ami. J’étais d’autant plus attaché à lui que je n’avais plus personne. »

Après la Libération, il a demandé à Jasko de le ramener à la maison. « Je pensais que ma mère m’attendait et qu’on allait récompenser Jasko pour ce qu’il avait fait pour moi. » Mais personne n’avait pu l’attendre. Sa mère l’avait sommé de fuir parce qu’elle savait qu’elle allait être tuée.

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

Le seul souvenir qui relie Maxwell Smart à son enfance est un candélabre ayant appartenu à sa mère. On le voit ici avec sa femme Tina Russo.

Le seul membre de sa famille qu’il a pu retrouver 20 ans plus tard est sa tante Erna. Elle lui a remis un candélabre, qui appartenait à sa mère et lui avait été offert par son grand-père lors de son mariage. Il trône maintenant dans son salon à Montréal. C’est le seul objet qui le lie à la maison de son enfance.

« Quand je suis triste, je pose mes mains dessus et ça m’apaise. Je revois ma mère qui le polissait toujours avec soin. Je sens qu’elle est là avec moi. »