Je marchais dans le Vieux-Montréal, jeudi matin, quand je suis tombé sur une scène dont je n’avais encore jamais été témoin.

Dans le petit parc situé à côté de La Presse, devenu un haut lieu pour les campements de sans-abri, des employés municipaux procédaient à un énième démantèlement.

Deux cols bleus ramassaient les déchets au sol avec des perches télescopiques. Un autre chargeait les détritus dans un petit camion-benne. Des policiers à vélo, accompagnés d’intervenants sociaux, veillaient au bon déroulement de l’affaire.

Une opération bien rodée. Efficace. Sans esclandre. Le fruit d’une directive claire de la Ville de Montréal : les campements sauvages ne seront plus tolérés sur son territoire.

Presque tous les campements, devrais-je dire. Celui établi quelques centaines de mètres plus loin par des manifestants propalestiniens, devant l’édifice de la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ), demeure bien en place.

Il n’y a pas l’ombre du début d’un démantèlement en vue, après presque deux semaines.

Comme je vous le racontais le 27 juin, il s’agit d’un grand enclos recouvert de bâches, avec toutes sortes de slogans, écrits surtout en anglais. Le noyau dur compte entre 50 et 100 manifestants1. La statue de la reine Victoria, à côté, a été vandalisée à grands coups de peinture.

PHOTO ROBERT SKINNER, ARCHIVES LA PRESSE

Les graffitis sur la statue de la reine Victoria, photographiée le 26 juin, n’ont toujours pas été effacés.

Seule différence notable depuis une semaine : de nouveaux graffitis se sont ajoutés aux anciens, qui n’ont jamais été effacés. Quatre voitures du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) étaient garées autour du site lorsque je m’y suis rendu.

Que font l’administration Plante et le SPVM depuis presque deux semaines ? Ils attendent, surtout. Les policiers agissent seulement lorsque ça dérape solidement.

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Une échauffourée croquée sur le vif au campement, jeudi

Les incivilités de toutes sortes, pendant ce temps, s’additionnent.

Il y a eu du grabuge à l’intérieur du Centre de commerce mondial, devant le campement. Un patrouilleur du SPVM blessé aux yeux par un laser. Plusieurs actes de vandalisme, comme cette peinture rouge lancée sur l’immeuble de la CDPQ. Au moins trois arrestations pour vol, recel et entrave au travail des policiers.

Ça commence à faire beaucoup…

Le ministre de la Sécurité publique, François Bonnardel, a dénoncé mercredi les « conséquences » de l’approche « passive » de Montréal2. Sa collègue à l’Enseignement supérieur, Pascale Déry, a renchéri en pointant « l’attentisme » des autorités.

Des propos durs, mais qui frappent dans le mille.

Car contrairement à d’autres dossiers où elle ne détient pas les leviers décisionnels, comme le logement social et le transport collectif, la Ville de Montréal a tous les pouvoirs pour faire régner l’ordre sur son territoire. Elle en a même la responsabilité.

L’apparente apathie de la Ville dans ce dossier envoie un drôle de message aux Montréalais. Un double message.

Vous garez votre voiture du mauvais côté de la rue pendant un nettoyage ? Ticket. Vous sortez un sac de poubelle le mauvais jour ? Ticket. Vous circulez à vélo avec des écouteurs aux oreilles ? Ticket.

(J’ai commis toutes ces infractions au fil des années – et me suis fait prendre. Mes excuses.)

Mais l’occupation illégale d’un quadrilatère entier et le vandalisme à gogo passent comme du beurre dans la poêle, on dirait. Comme si le respect des lois était à géométrie variable, selon la cause.

Défaire un campement n’est pas simple, on s’entend. L’Université McGill, qui en héberge un malgré elle depuis le printemps, a été déboutée par la Cour supérieure lorsqu’elle a tenté d’obtenir une injonction. Le droit à la liberté d’expression des manifestants prime les nuisances occasionnées, a estimé en gros le tribunal. Prochaine audience à la fin de juillet.

Mais il y a aussi des voies de passage. Des façons de faire respecter le droit à la propriété, sans nier le droit de militer pour une cause.

L’Université de Toronto, par exemple, a convaincu la Cour d’ordonner le démantèlement d’un campement sur son campus, plus tôt cette semaine. L’opération s’est faite dans le calme. Les protestataires pourront continuer à manifester, mais ils ne pourront plus ériger de structure ni dormir sur place.

Un autre campement installé à l’Université de Sherbrooke a été déconstruit partiellement jeudi par des agents de sécurité, en 20 minutes. L’institution a fait respecter son « cadre règlementaire », avec ses propres moyens3.

Au square Victoria, en plein centre-ville de Montréal, les directives quant à la suite des choses restent nébuleuses. L’administration Plante n’a pas donné au SPVM d’instructions à propos du démantèlement du campement. Aucune demande d’injonction n’a non plus été faite à la Cour.

On attend. Mais quoi, au juste ?

1. Lisez la chronique « Les bons et les mauvais campements » 2. Lisez l'article « François Bonnardel critique la passivité de la Ville de Montréal » 3. Lisez l'article de La Tribune « Le campement propalestinien de l’Université de Sherbrooke sera levé »