Les chiffres déprimants ne manquent pas ces jours-ci en matière de logement.

Il y a les taux d’inoccupation, minuscules. Les mises en chantier, faméliques. Les loyers, en hausse fulgurante. Les familles évincées, toujours plus nombreuses. Je pourrais vous en balancer des paragraphes entiers…

Je me concentrerai sur un seul chiffre aujourd’hui. Un chiffre a priori abstrait, mais aussi rempli de promesses : 1 million.

Plus précisément : 1 million de pieds carrés.

C’est la quantité d’espaces de bureaux qui pourraient être convertis en logements, au centre-ville de Montréal. Des projets de transformation sont entamés ou à l’étude dans au moins quatre immeubles, ai-je appris, et une demi-douzaine d’autres, voire davantage, pourraient suivre.

Le potentiel est majeur, si les bonnes conditions sont réunies. Ça s’est vu ailleurs et il n’y a aucune raison que ça ne fonctionne pas ici.

Je me suis rendu à Calgary l’an dernier pour me pencher sur le phénomène des conversions. Cette ville est devenue, malgré elle, l’épicentre nord-américain pour ce type de projets⁠1.

La chute des prix du pétrole de 2014 puis la pandémie de COVID-19 ont fait bondir le taux d’inoccupation des bureaux à plus de 30 %. L’exode des locataires a fait fondre leur valeur foncière de 16 milliards de dollars. Cette baisse, par ricochet, a grugé les revenus fiscaux de la Ville.

Une spirale infernale, que la métropole albertaine a réussi à transformer en opportunité.

Comment ? Avec un généreux programme de subventions destiné aux promoteurs privés. Et une bureaucratie réduite à son plus strict minimum, pour accélérer les chantiers.

Ça a fonctionné du tonnerre. Depuis trois ans, 13 projets de conversion ont été lancés et quatre autres sont à l’étude. Ces transformations permettront d’ajouter 2300 logements dans le cœur de la ville. Gagnant sur toute la ligne.

Le centre-ville de Montréal est en meilleure posture que celui de Calgary. Il est plus habité. Plus diversifié.

Mais un péril bien réel plane. Le taux d’inoccupation des édifices de bureaux a doublé depuis la pandémie, à 18,5 %. Le travail en mode hybride n’est pas près de disparaître, ce qui laisse une quantité importante de tours à requalifier.

Je me suis intéressé à un projet qui suit discrètement son cours rue Sherbrooke Ouest, près de l’Université McGill. Une société d’Halifax, NexArm Investments, a racheté il y a un an l’ancien immeuble de la Standard Life pour 50 millions de dollars en vue de le transformer.

La tour de 21 étages sera convertie en 209 appartements locatifs. Le chantier avance rondement, m’a confirmé en entrevue George Armoyan Jr., qui gère les projets immobiliers québécois de cette entreprise familiale.

En fait, l’arrondissement de Ville-Marie et la Ville de Montréal ont fait preuve d’une surprenante rapidité dans ce dossier.

La transaction s’est conclue en juin 2023 et le permis de transformation, qui a permis de démolir l’intérieur du bâtiment, a été délivré dès le mois de septembre.

Le permis final pour la conversion, qui impliquera entre autres le remplacement de toutes les fenêtres, a été délivré récemment, donc en moins d’un an.

Il faut le souligner, le projet bénéficie d’un avantage majeur : le zonage est mixte dans ce secteur du centre-ville. Il permet l’usage résidentiel et commercial. Une demande de changement aurait ajouté des délais considérables.

Mais le fait de convertir un bâtiment existant, plutôt que de le démolir et de rebâtir à neuf, ajoute une « vitesse d’exécution » énorme au chantier, m’a fait valoir George Armoyan Jr. « On hérite en partant de la structure et de la façade, tout est là. »

Il s’attend à ce que les appartements soient livrés dans moins d’un an. La facture totale – ainsi que le montant des loyers – reste inconnue.

Selon la firme immobilière Avison Young, au moins trois autres projets de conversion en sont à différents stades d’avancement au centre-ville : boulevard René-Lévesque Ouest, rue Sainte-Catherine Ouest et dans l’ancien siège social du CN, rue De La Gauchetière Ouest.

  • Une conversion est envisagée dans cette tour du boulevard René-Lévesque Ouest.

    PHOTO DOMINICK GRAVEL, LA PRESSE

    Une conversion est envisagée dans cette tour du boulevard René-Lévesque Ouest.

  • Un projet de conversion et de densification est envisagé sur ce site.

    PHOTO DOMINICK GRAVEL, LA PRESSE

    Un projet de conversion et de densification est envisagé sur ce site.

  • Une des rares conversions récentes de bureaux, achevée récemment à L’Île-des-Sœurs

    PHOTO DOMINICK GRAVEL, LA PRESSE

    Une des rares conversions récentes de bureaux, achevée récemment à L’Île-des-Sœurs

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S’ils se concrétisent, ils totaliseront plus d’un million de pieds carrés. Ces transformations permettraient de réduire de 1 % à 1,5 % le taux d’inoccupation des bureaux au centre-ville, en plus de créer des centaines de logements.

Le potentiel de conversion est grand à Montréal, mais la complexité des projets l’est tout autant, m’ont rappelé deux experts d’Avison Young.

Les immeubles, par exemple, doivent avoir une superficie de plancher assez limitée pour que tous les appartements aient accès à des fenêtres. Il y a souvent des changements de zonage à faire, ou des étages à ajouter, ce qui peut ajouter des délais majeurs. Ils espèrent que la Ville fera preuve de plus de « flexibilité » en permettant une densification lorsque nécessaire.

L’administration Plante se dit « hyper favorable » à ce type de projets. Mais pas question pour l’instant de suivre les traces de Calgary avec un programme de subvention.

Attendez-vous à des débats grandissants à cet égard. La pression va s’accentuer pour que la Ville soit moins passive dans ce dossier. L’Institut de développement urbain du Québec, qui représente les promoteurs, a notamment demandé des crédits de taxes foncières ou des subventions il y a quelques semaines.

Demandes justifiées, selon moi.

On s’entend : ces conversions ne régleront pas la crise du logement. Les appartements qui seront livrés, comme ceux de la rue Sherbrooke Ouest, seront loin d’être à la portée de toutes les bourses.

Mais on l’a dit et redit : il faut augmenter l’offre dans toutes les gammes de prix. La Société canadienne d’hypothèques et de logement l’a encore confirmé dans une étude récente. Le fait de bâtir davantage d’unités, même plus chères, crée un effet d’entraînement qui libère des appartements plus abordables⁠2.

Il y a un bassin important d’immeubles à convertir, à Montréal et ailleurs au Québec. Qu’on facilite à tout prix ces transformations. En plus d’être écologique, c’est tout simplement logique.

1. Lisez « Sauver un centre-ville, mode d’emploi » 2. Consultez la recherche de la Société canadienne d’hypothèques et de logement