Au début de leurs règnes, la ressemblance était si frappante qu’on les qualifiait de frères. Justin Trudeau et Emmanuel Macron paraissaient avoir beaucoup en commun : la jeunesse, le charisme, un programme centriste et la foi dans le progrès. Et maintenant, les deux contemplent en même temps la possibilité de leur chute.

Si leur ascension et leur déclin ont suivi des trajectoires similaires, leurs mandats sont marqués par de profondes différences.

Les comparer aide, par effet de contraste, à comprendre leur règne.

Un mot revient souvent pour décrire M. Macron : verticalité. Pour lui, le pouvoir s’exerce à partir du sommet. Son surnom, Jupiter, montre la distance qui le sépare des autres mortels.

Mais encore ? En tant qu’observateur touristique de l’actualité française, j’ai demandé l’éclairage de Frédéric Mérand, directeur du département de science politique de l’Université de Montréal.

La dissolution de l’Assemblée par le président montre sa conception de la politique. « Il supporte mal de ne pas avoir le contrôle », résume M. Mérand, spécialiste de l’Europe.

Ce pouvoir lui monte à la tête, qui était déjà grosse. Il veut plus gagner que plaire. Il a qualifié des citoyens d’« illettrés » et a sermonné un chômeur devant les caméras – « je traverse la rue, je vous en trouve [un emploi] ».

Ce tempérament sied à la Cinquième République, qualifiée parfois de « monarchie républicaine » à cause de sa concentration des pouvoirs dans la présidence, rappelle M. Mérand.

Au Canada, le pouvoir se concentre de plus en plus au bureau du premier ministre depuis quelques décennies, mais on reste loin de la France.

M. Trudeau est freiné par le partage des pouvoirs avec les provinces. Malgré ses tendances centralisatrices, par exemple en santé, il se bute à cette limite en environnement, où les provinces pétrolières entravent ses réformes.

À la tête de son deuxième gouvernement minoritaire, il a appris à négocier avec les partis de l’opposition pour survivre. À la télévision, M. Trudeau peut sembler cassant. Mais en personne, il se distingue par son écoute et son affabilité.

Une image a toutefois fini par lui coller : un homme meilleur pour défendre des principes que pour obtenir des résultats.

Son gouvernement prend un temps interminable avant de trancher sur des sujets plutôt simples comme la nomination des juges.

En France, les quinquennats de M. Macron ont été marqués par des décisions controversées, comme la taxe sur les produits énergétiques et la hausse de l’âge de la retraite. Mais s’il a encaissé de nombreux reproches, il y en a un qui ne lui a jamais été adressé : trop consulter.

MM. Macron et Trudeau ont ensemble défendu le multilatéralisme, face à Donald Trump. Mais sur la scène internationale, le premier menait, alors que l’autre suivait.

Bien sûr, la France est une puissance nucléaire et un membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU. Le Canada n’a pas cette influence. Mais même en tenant compte de cette limite, M. Trudeau a joué de prudence.

Le président français a multiplié les déclarations chocs. Il a mis en garde contre la « mort cérébrale » de l’OTAN et a évoqué l’envoi de troupes en Ukraine, un bluff qui ne fut pas pris au sérieux.

M. Trudeau est plutôt critiqué pour son manque d’initiative. À cause de ses faibles investissements militaires, le Canada est vu comme un État qui profite des efforts des autres – ce qui était aussi vrai sous Stephen Harper.

Sur la scène internationale, les politiciens sont en réaction. En campagne électorale chez eux, ils peuvent mieux élaborer leur vision dans leur programme.

On a qualifié MM. Trudeau et Macron de centristes. Pour prendre le pouvoir, ils ont misé sur un message optimiste en ciblant les jeunes et en tendant un large filet – l’adhésion à leur parti a été rendue gratuite.

M. Trudeau s’est toutefois défini face à un adversaire à sa droite, M. Harper. Emmanuel Macron a quant à lui succédé à un président socialiste. « Il a commencé en courtisant les déçus du Parti socialiste. Après avoir affaibli cet adversaire à sa gauche, il s’est tourné vers l’électorat des Républicains », rappelle M. Mérand.

Le centriste a flirté avec la gauche, puis avec la droite. C’était par stratégie électorale. Et ensuite aussi par nécessité parlementaire, poursuit M. Mérand. « Il avait besoin des votes des Républicains et du Rassemblent national pour faire adopter ses projets de loi. »

Vu de loin, c’était parfois difficile à suivre. Le président qui voyait en début de mandat les demandeurs d’asile comme une « opportunité économique » se montre désormais critique des « partis immigrationnistes ».

Justin Trudeau, lui, a toujours penché du même côté.

Son multiculturalisme le place en opposition frontale avec le modèle français. Quand l’enseignant français Samuel Paty a été décapité par un islamiste, le chef libéral a dénoncé l’attentat, pour ensuite ajouter que la liberté d’expression avait ses limites. Comme si la critique d’un dogme religieux était en soi intolérante, et comme si la violence qui s’ensuivait était compréhensible. À l’Élysée, cette déclaration n’a pas passé.

Reste que cet incident paraît lointain et qu’à Ottawa, on serait heureux d’une victoire des troupes d’Emmanuel Macron.

En 2022, le président se positionnait en « rempart contre l’extrême droite », rappelle M. Mérand. « Maintenant, il dit combattre les deux extrêmes, à sa gauche et à sa droite, en faisant une équivalence entre les deux », ajoute le politologue.

Pour M. Trudeau, qui est élu grâce à un mode de scrutin à un tour, l’enjeu est plus simple. Il se concentre sur un seul adversaire, celui à sa droite, avec un parti qui a déjà gouverné et qui n’est pas qualifié d’extrémiste.

Depuis son deuxième mandat minoritaire en 2021, il mise sur les néo-démocrates pour se maintenir au pouvoir. Cela a aggravé sa tendance dépensière. Et cela a donné des munitions aux conservateurs qui l’accusent d’avoir accumulé les déficits en période de croissance économique et d’avoir réduit la marge de manœuvre de l’État pour affronter la prochaine crise. Avec la hausse de l’inflation, cette réputation le rend vulnérable.

M. Macron, ex-banquier d’affaires, n’est pas jugé pour sa compétence en économie. Les attaques portent plus sur ses choix. « Il ne prône pas la discipline budgétaire à tout prix, il accepte les déficits, mais on le juge proche des milieux d’affaires », résume M. Mérand.

Et le président aime le risque, comme le prouve son pari électoral.

Malgré les différences entre le système parlementaire, le mode de scrutin, la configuration des partis et la culture de leurs pays, MM. Macron et Trudeau se battent contre un ennemi commun : le temps et son usure.

Il est invisible et redoutable. Et au final, il n’a jamais perdu un combat.