La mairesse de Montréal l’a réitéré mercredi : les campements de sans-abri qui pullulent ne sauraient être tolérés. Ils continueront d’être démantelés, un par un.

Mais pas question de toucher au campement propalestinien installé depuis samedi au square Victoria, dans l’hypercentre de la ville. Celui-là est jugé acceptable.

« Les gens qui militent pour une cause spécifique n’ont pas l’intention de rester là à long terme », a expliqué Valérie Plante pendant un point de presse.

Permettez-moi d’émettre de gros doutes là-dessus. Ce campement n’est pas sur le point de disparaître.

Très loin de là, même.

Je me suis rendu sur place mercredi matin. C’était tranquille, je dois le dire. Un « résidant » lavait sa vaisselle dans une fontaine, après avoir ramassé les mégots laissés au sol par ses camarades. D’autres distribuaient des pamphlets.

Le site a été installé dans un parc appartenant à la Ville, en face de l’édifice de la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ). C’est un grand rectangle entouré de bâches de plastique, elles-mêmes recouvertes de slogans.

La statue de la reine Victoria, à quelques mètres, a été vandalisée par des manifestants anticolonialistes. Certains ont essayé de la faire tomber de son socle, en vain.

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Le socle coloré de la statue de la reine Victoria

Le « noyau dur » est constitué de 50 à 100 manifestants, m’a affirmé Barbara, l’une des organisatrices.

Leurs revendications : que la CDPQ se départe de 14 milliards de dollars d’investissements, répartis dans 87 entreprises « complices de l’occupation israélienne », comme Airbnb, Expedia ou Motorola. Et que le gouvernement du Québec ferme sa nouvelle délégation à Tel-Aviv, en Israël.

La Caisse dit prendre la situation « très au sérieux », mais ne vous attendez pas à la voir liquider des milliards de dollars d’investissements. Québec maintiendra son bureau israélien.

En somme : les manifestants n’obtiendront pas ce qu’ils veulent. Ni demain, ni après-demain, ni dans trois mois. Ils n’ont aucune intention de plier bagage avant d’avoir eu raison sur toute la ligne.

C’est l’impasse.

Si l’on se fie à ce qui se passe à l’Université McGill, où un campement similaire est enraciné depuis la fin d’avril, la situation va durer.

C’est la réaction des autorités, dans ce contexte, que j’ai cherché à comprendre. Car la Ville de Montréal a sévi dans plusieurs dossiers reliés à l’occupation du « domaine public », ces derniers temps.

On peut penser aux cônes orange, qui doivent maintenant être retirés 24 heures après la fin d’un chantier, sous peine d’amende.

Aux chapiteaux installés par des restaurateurs de la rue Peel pendant le Grand Prix de F1. Ils ont été évacués dans la plus grande urgence par le service des incendies parce qu’ils étaient situés 58 centimètres trop près des immeubles.

Sans oublier, bien sûr, les campements de sans-abri, désormais démantelés au fur et à mesure. Ils sont considérés comme inhumains, voire dangereux, pour les populations itinérantes et les riverains.

Au square Victoria, la réaction des autorités pourrait se résumer en deux mots : attentisme et tolérance. Pas question de provoquer le courroux des manifestants, d’aucune manière, tant que la situation demeurera pacifique.

Mais encore ?

Les forces de l’ordre ont beaucoup appris des mouvements sociaux des dernières années, m’a fait valoir en entrevue David Shane, inspecteur au Service de police de la Ville de Montréal (SPVM). En particulier de la crise des « carrés rouges » de 2012, où certaines manœuvres policières ont été sévèrement réprimandées par les tribunaux.

Une série de facteurs devraient être réunis « au même moment » pour que les policiers démantèlent le campement du square Victoria. Il devrait y avoir une « urgence » d’agir, en raison d’actes criminels ou de violence, ce qui n’a pas été le cas jusqu’ici selon lui, malgré le vandalisme.

Il y a aussi le droit fondamental à la liberté d’expression, reconnu encore récemment par la Cour supérieure à l’Université McGill après deux demandes d’injonction.

« On est là pour créer la sécurité s’il y a des débordements ou des situations qui mettent en péril la sécurité des gens, m’a dit David Shane. On intervient comme c’est arrivé le 6 juin à McGill, quand des gens ont investi des locaux de l’université. »

Les agents du SPVM n’interviendront jamais « au péril de leur propre sécurité » pour des crimes « somme toute mineurs » ou de petites transgressions des règlements municipaux.

Le SPVM continuera de surveiller le campement 24 heures sur 24 jusqu’à nouvel ordre. L’objectif est d’en arriver à un « dénouement pacifique » comme en 2011, quand le square Victoria avait été pris d’assaut pendant six semaines par le mouvement « Occupons Montréal ».

J’ai trouvé ce parallèle intéressant.

Pour ceux qui s’en souviennent, cette occupation, inspirée du mouvement anticapitaliste « Occupy Wall Street », a salement dégénéré au fil des semaines.

Au noyau dur d’origine se sont greffés des sans-abri, des toxicomanes et toutes sortes d’autres marginaux. Ils ont transformé le square Victoria en un refuge débraillé à ciel ouvert, avec des centaines de tentes, où s’entremêlaient consommation de drogue et bagarres. L’arrivée du froid, en novembre, a fini par donner un sérieux coup de pouce aux autorités.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Le campement de 2011, au square Victoria

Pour l’instant, les protestataires cohabitent pacifiquement avec les travailleurs et les résidants du secteur. Sauf qu’il reste encore de longs mois avant l’hiver prochain. La crise de l’itinérance est aussi bien pire aujourd’hui qu’en 2011. La constitution d’un gigacampement en plein centre-ville, auquel viendraient se greffer des sans-abri, est une possibilité bien réelle.

Il y a moyen de respecter la liberté d’expression des manifestants sans revivre le chaos de 2011. Mais les débordements ne sauraient être tolérés dans ce quartier névralgique, si noble la cause soit-elle. À quand le plan d’action ?