Ça y est, Julie Déziel n’est plus enseignante. Après 34 ans, elle a décidé de prendre sa retraite. Elle plonge dans une autre vie, une autre vie où elle n’est plus « Madame Julie ».

Je profite des premiers jours après la fin des classes pour vous présenter une prof heureuse de l’avoir été et qui choisirait encore d’être enseignante au primaire. Elles sont des milliers, comme Madame Julie, malgré les ratés du système d’éducation et ses dérives, à avoir adoré enseigner. Il ne faut pas l’oublier, il ne faut pas les oublier.

Enseigner, c’est une expérience humaine enrichissante, valorisante. C’est faire une différence dans la vie des enfants, des centaines d’enfants qui deviennent grands un jour.

On a échangé juste avant sa retraite, ces derniers temps. Elle part sereine, par choix, mais mille choses lui manqueront de l’école Rinfret à Sainte-Ursule, en Mauricie… 

PHOTO CHARLES WILLIAM PELLETIER, COLLABORATION SPÉCIALE

Julie Déziel a enseigné pendant 34 ans et parle d’un métier qui l’a comblée.

Les dessins et les gribouillis remplis de Je t’aime et de T’es la meilleure prof du monde… 

Le son de la vieille cloche dans la cour de récré.

L’odeur des pupitres mouillés, en juin.

Les pommes déposées sur le coin de son bureau, au temps des pommes, l’automne.

Toutes les couleurs des habits de neige des enfants qui contrastent avec le blanc immaculé de la neige en janvier.

Les millions de déguisements de l’Halloween et des journées thématiques.

Faire découvrir la littérature jeunesse aux élèves, leur donner la piqûre de la lecture.

Le dodo à l’école avec les cocos, la veille d’une pédago.

Tous les petits noms, justement, qu’elle donnait aux élèves : mon cœur, mon loup, mon chéri, mon trésor, mon coco, ma cocotte, mon grand, ma grande… 

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Julie Déziel et ses élèves

Madame Julie a enseigné dans cette petite école Rinfret, l’école qu’elle avait fréquentée, enfant, dans les années 1970.

L’enseignement, la « profitude », comme dit Julie Déziel, c’était dans son ADN : sa grand-mère, sa mère, sa filleule, ses tantes, ses cousines et même ses deux filles ont été ou sont en enseignement.

Elle parle d’un métier qui l’a comblée, d’un lien fort avec les enfants. Madame Julie mesure sa chance : enseignante dans une petite école, de petits groupes généralement, même si certains ont été plus rock and roll que d’autres. Elle est fière d’avoir, comme elle dit, « semé des grains de bonheur » dans sa classe.

Julie Déziel a commencé sa carrière en enseignant à des Bruno et à des Marie-France. Elle la termine avec des Florence et des Noah. Et à la dernière rencontre de parents, il y avait parmi ceux-ci plein de ses anciens élèves… 

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« Au-delà des apprentissages, il y a la relation : un enfant qui se sent bien, il apprend bien… », dit Julie Déziel.

Elle a fait du mentorat auprès de jeunes profs et elle avait toujours le même message pour eux : « Créez-le, ce lien significatif avec les élèves, c’est la clé », et ce fut, dit-elle, sa marque de commerce.

« Chaque matin, j’ai accueilli mes élèves en les saluant individuellement. Encore il y a trois semaines, je faisais dodo à l’école avec mes cocos : j’ai imprimé des souvenirs pour la vie dans leur tête : jouer à la cachette dans l’école, manger des crêpes le lendemain matin. Au-delà des apprentissages, il y a la relation : un enfant qui se sent bien, il apprend bien… »

Madame Julie, en fait, n’a qu’un message éditorial, il est pour les parents : de grâce, éloignez vos enfants des écrans.

« Depuis dix ans, je vois un changement majeur dans le portrait des jeunes et c’est, ma foi, assez alarmant. Ce que j’enseignais aux jeunes il y a dix ans, les enfants d’aujourd’hui ne sont (en général) plus capables de l’apprendre (le nom des planètes, les provinces, les capitales, la règle de l’accord du participe passé avec avoir). Le système n’a pas d’autre choix que de diminuer les attentes afin de favoriser la réussite des jeunes d’aujourd’hui… »

Julie Déziel décrit des enfants moins attentifs que naguère, qui maîtrisent un vocabulaire plus limité et qui ont de plus en plus de difficulté à gérer leurs émotions et à accepter le mot « non »…

Sans le savoir, sans références d’études scientifiques, Madame Julie décrit exactement ce qui préoccupe les scientifiques quand ils étudient les enfants nés « dans » le numérique.

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Pour les jeunes profs, Julie Déziel a un message : « Créez-le, ce lien significatif avec les élèves, c’est la clé. »

« Il y a des exceptions, s’empresse-t-elle d’ajouter. Mon groupe de cette année était particulièrement “wow”. Oui, il y a des petits loups curieux, vaillants, motivés, empathiques et capables de gérer leurs émotions, de s’organiser dans le temps, mais hélas, ce sont des cas d’exception… »

Madame Julie insiste encore : elle prend sa retraite par choix, pas par écœurantite. Elle s’ennuiera de mille petites choses qui ont tissé son bonheur, mais, quand même, il y a certaines choses dont elle ne s’ennuiera pas…

Elle pourra lire une phrase sans dire « virgule » et « point » à voix haute (!), parler même à ceux qui n’ont pas la main levée. Finis les corrections et les bulletins, les comités, la surveillance. Julie Déziel pourra aussi porter des sandales sans sangle à l’arrière…

« Et retrouver mon prénom, sans “Madame” devant le “Julie”… »

Alors je le dis une dernière fois pour Julie Déziel, mais je le dis aussi pour toutes les enseignantes qui ont pris leur retraite cette année, un peu partout dans les écoles du Québec…

Merci, Madame Julie.

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Julie Déziel et son groupe