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Mon texte de la semaine⁠1 dernière a beaucoup fait réagir. Certains étaient d’accord, d’autres non. Mais la plupart ont salué la transparence de ce texte qui visait à expliquer pourquoi nous utilisons l’expression « extrême droite » à La Presse.

Comme pour toute question complexe, ce texte a aussi suscité son lot de questionnements. En voici quelques-uns.

« Vous faites un rapprochement entre nationalisme et extrême droite dans votre texte. Or je suis québécois et nationaliste. Suis-je d’extrême droite à vos yeux ? »

Non. Mon texte portait volontairement sur l’Europe, et sur la France en particulier. Pas sur le Québec.

Il y a quelque chose d’éminemment historique, culturel et aussi contextuel dans l’utilisation des étiquettes politiques. Le nationalisme en est un bon exemple, comme le confirme d’ailleurs le Larousse qui offre deux définitions distinctes du mot « nationalisme ».

Au Québec, on est plus près de la première définition : un mouvement politique d’individus qui ont conscience de former une communauté nationale parce qu’ils partagent une langue, une culture, et qui veulent se doter d’un État souverain.

Alors qu’en France, c’est la deuxième définition qui prévaut : le nationalisme y est associé à l’extrême droite parce qu’il « affirme la prédominance de l’intérêt national par rapport aux intérêts des classes et des groupes qui constituent la nation ».

« Pourquoi ne pas suivre l’exemple de l’auteur que vous citez dans votre texte, Charles Sapin, qui préfère l’expression “partis nationalistes” à “partis d’extrême droite”, comme il l’explique bien dans son livre Les moissons de la colère ? »

Pour éviter la confusion à laquelle je fais justement référence dans ma réponse à la question précédente. Si La Presse qualifiait le Rassemblement national et Reconquête ! de « partis nationalistes », cela les mettrait sur un pied d’égalité avec tous les partis dits nationalistes au Québec, ce qui poserait certainement problème.

« Vous dites que l’extrême droite regroupe les partis populistes, en ce qu’ils défendent un peuple opposé à des élites qu’ils jugent déconnectées, voire prédatrices. Et ce sont des partis nationalistes, en ce qu’ils centrent leur discours sur la nation comme pivot de l’action politique. Ils se portent ainsi à la défense d’une communauté nationale qu’ils estiment menacée, tant par une immigration incontrôlée que par une dérive criminelle. J’aimerais comprendre en quoi la CAQ ou le PQ ne correspondent pas à cette définition. »

Voilà pourquoi on parle de la droite de la droite, celle qui se trouve à l’extrême du spectre politique. Elle ne cherche pas seulement à être proche du peuple, elle se dépeint comme étant à la défense d’un peuple opprimé par des élites et des institutions qui chercheraient à l’écraser. Elle ne veut pas seulement une réduction de l’afflux d’immigrants, elle veut retrouver une pureté nationale en renvoyant les étrangers chez eux ou en leur retirant des droits. Etc. Autant de positions qu’on ne pourrait pas, en toute honnêteté, associer à des partis québécois.

« À droite de quoi ? À gauche de quoi ? Où est le centre, qui me semble bien subjectif ? Chaque individu ou groupe peut considérer son opinion comme étant au centre… »

L’interprétation du spectre politique peut changer d’une personne à l’autre, bien sûr. Mais il existe néanmoins une position courante de ce que l’on situe à droite et à gauche du centre.

En gros, sur les questions morales, la droite est plus conservatrice, elle tient aux traditions, à la loi et à l’ordre. Tandis que la gauche est plus réformiste, progressiste, elle cherche un changement social et une redistribution de la richesse dans le but de rendre la société plus égalitaire. Le centre est en sandwich entre les deux, en plus d’être parfois découpé en « centre droit » et « centre gauche ».

« Pourquoi ne parlez-vous pas de l’extrême gauche ? Si l’on suit votre logique, La France insoumise (LFI) de Mélenchon est à la gauche de la gauche traditionnelle et adopte des positions extrêmes. Selon votre propre raisonnement, cela justifierait aussi qu’elle soit qualifiée d’extrême gauche, non ? »

Oui. Le parti de Jean-Luc Mélenchon pourrait être étiqueté d’extrême gauche ou de gauche radicale à La Presse, en raison notamment de son approche très critique du capitalisme, au même titre que le Parti communiste. L’angle du texte de la semaine dernière portait sur la droite dans la foulée des élections européennes. LFI y a été crédité de moins de 10 % des suffrages, contre 40 % pour le Rassemblement national et Reconquête ! D’où l’argumentaire portant essentiellement sur l’utilisation de l’expression « extrême droite » dans la perspective des législatives.

« L’expression “ultradroite” m’apparaît plus appropriée. Certaines positions de l’ultradroite sont le reflet de l’insécurité ambiante. »

Je comprends votre point de vue. Mais la définition qui s’est imposée en France ces dernières années quant à l’ultradroite renvoie à des groupes plus violents et ouvertement xénophobes. C’est l’utilisation qu’en font les forces de l’ordre, par exemple.

« Je me demande comment vous en êtes arrivé à considérer vos lecteurs comme étant incapables de comprendre le français au point de devoir inclure la traduction, en anglais, de certains termes […]. Le déclin du français au Québec, vous souhaitez le contrer ou l’encourager ? »

On utilise des mots anglais à La Presse à l’occasion par souci de précision. Par exemple, l’utilisation de l’expression far right visait à expliquer qu’on utilise « extrême droite » dans le sens d’une droite à l’extrême du spectre politique. Je ne crois pas qu’une poignée de mots anglais dans une édition quotidienne qui contient environ 40 000 mots en semaine (65 000 mots le samedi !) fait décliner le fait français au Québec.

1. Lisez « Extrême droite, vous dites ? » Écrivez à François Cardinal