Il y a eu deux annonces majeures dans le dossier de l’itinérance vendredi à Montréal, qui promettent de changer le quotidien de bien du monde.

Pour le meilleur, bien souvent. Mais peut-être aussi pour le pire, dans certains cas.

La première annonce, officielle : Québec et Ottawa injecteront 115 millions de dollars supplémentaires d’ici deux ans. Ces sommes permettront de créer 521 nouvelles places dans des refuges d’urgence et des hébergements transitoires de la métropole. Au moins huit nouveaux centres ouvriront leurs portes.

C’est un geste concret, qui mérite d’être salué. Des centaines de personnes sortiront de la rue grâce à cet investissement.

La deuxième annonce, faite en filigrane, risque cependant de causer des flammèches. Les nouvelles ressources pour sans-abri seront implantées un peu partout dans la métropole, a-t-on laissé entendre. Y compris dans des secteurs plus tranquilles, comme Rosemont ou Ahuntsic.

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

James Hugues, PDG de la Mission Old Brewery

« Il faut le dire : ça veut dire que les organismes vont être de plus en plus présents dans les différents quartiers à travers la ville », a indiqué James Hugues, PDG de la Mission Old Brewery, qui participait à la conférence de presse.

Je pense à tous les projets où il y a autour des communautés résidentielles qui disent : “Non, non, pas ici.” Ce n’est pas acceptable. Ce n’est pas acceptable, selon moi, comme réponse.

James Hugues, PDG de la Mission Old Brewery

Robert Beaudry, responsable de l’itinérance au sein de l’administration Plante, est allé dans le même sens. La Ville veut « impliquer » les résidants le plus possible, mais ceux-ci n’auront rien à dire sur le choix final des sites. « Ce n’est pas un référendum », a-t-il tranché.

Les citoyens inquiets ou mécontents devront se faire à l’idée, en somme.

Il y a déjà, en ce moment même, 6925 places destinées aux populations itinérantes à Montréal. Elles sont réparties dans des refuges d’urgence, des hébergements transitoires et une multitude d’immeubles résidentiels.

J’ai été surpris de l’ampleur de ces chiffres, je dois dire.

Places destinées aux populations itinérantes

Chaises/haltes de nuit : 50

Lits d’urgence : 1526

Hébergement court et moyen termes : 1617

Logement social ou transitoire : 3055

Accompagnement en logement avec subvention : 677

Source : CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal

Une bonne partie de ces ressources se fondent dans le décor. Il y en a peut-être même une à deux pas de chez vous, sans que vous le sachiez. Zéro grabuge, pas de consommation de crack en public : seulement des gens vulnérables qui profitent doucement du fait d’avoir un toit sur la tête.

Mais il y a aussi des cas où les choses dérapent de façon spectaculaire. Où la « cohabitation » promise par les autorités est tout sauf paisible. Où le quotidien de quadrilatères entiers a été chamboulé du jour au lendemain.

L’exemple le plus récent est celui de la Maison Benoît Labre, dans le quartier Saint-Henri. Il s’agit d’un complexe de logements sociaux pour sans-abri, qui comprend aussi un centre de jour et un site de consommation de drogues dures supervisé.

Depuis son ouverture en avril dernier, les incidents – exhibitionnisme, bagarres, consommation devant des enfants – se comptent par dizaines.

La situation a aussi dégénéré autour de deux refuges du Plateau Mont-Royal, à tel point que des demandes d’action collective ont été déposées à la Cour supérieure1.

Les histoires du genre font craindre le pire aux voisins des futurs refuges. Il y a beaucoup, beaucoup de monde inquiet, si je me fie à ma boîte de courriels.

Ces derniers jours, des résidants d’Ahuntsic-Cartierville, dans le nord de l’île, ont été surpris de recevoir une lettre de la Ville de Montréal par laquelle on leur apprenait qu’un refuge d’urgence de 50 places ouvrirait ses portes à la mi-août, non loin d’un CPE et d’une école de 1000 élèves.

Tout le voisinage est « en état de choc », m’a écrit une lectrice qui habite en face de la future ressource. « Notre crainte principale, c’est qu’on importera les problèmes d’autres quartiers chez nous. »

Le même scénario se profile dans le quartier Rosemont, où l’ancienne église Sainte-Bibiane, entourée d’écoles et de garderies, est appelée à devenir un centre d’hébergement.

« Je ne connais aucun parent du quartier qui n’a pas de crainte face à ce qui se prépare ici, m’a écrit un voisin. Avec tous les exemples qui s’accumulent, on est forcés de croire que le conte de fées de cohabitation que l’arrondissement essaie de nous vendre ne se produira pas. »

À quoi s’attendre pour la suite des choses, alors ?

Les politiciens à qui j’ai parlé vendredi lors de la conférence de presse jurent avoir appris des faux pas récents, comme celui de la Maison Benoît Labre.

« À partir de maintenant, on va prendre plus notre temps, et travailler plus avec les communautés, m’a affirmé Lionel Carmant, ministre responsable des Services sociaux. Le message que j’ai entendu, c’est que ça s’est fait un peu en catimini, et on ne veut pas ça. On veut que les gens soient bien conscients de ce qui arrive. »

Si le ministre dit vrai, les responsables de l’itinérance, qu’ils soient à la Ville de Montréal ou dans les organismes communautaires, auront quelques semaines à peine pour mettre en pratique ces concepts de bon voisinage.

Car les nouveaux hébergements promis vendredi, grâce à tous ces millions de dollars d’argent public, ouvriront leurs portes plus tôt que tard. Un été chaud se profile dans bien des quartiers.

1. Lisez la chronique « Cohabitation avec les sans-abri : en route vers les tribunaux »