Dans la catégorie mouchoir, la déclaration de Chrystia Freeland sur le gain en capital mérite une mention d’honneur.

« Dans quelle sorte de Canada souhaitez-vous vivre ? Dans un pays où les enfants vont à l’école le ventre vide ? Dans un pays où une adolescente tombe enceinte simplement parce qu’elle n’a pas l’argent pour se payer des contraceptifs ? »

Peu de gens répondront oui, évidemment.

La ministre des Finances n’a pas tort de souligner que la redistribution de la richesse est essentielle pour assurer ainsi la dignité humaine.

Mais ces services seraient-ils vraiment menacés, comme elle le laisse entendre, si la vente d’un chalet, d’un plex, d’actions en bourse et les autres gains en capital n’étaient pas davantage imposés ? Si c’est vrai, cela prouverait le triste état de nos finances publiques. Et donc, l’échec du gouvernement libéral.

Avant d’analyser la pertinence de la mesure elle-même, il faut parler de la stratégie politique.

Le piège est rouge clignotant : les libéraux veulent montrer que le Parti conservateur ne défend pas les gens aux revenus modestes.

Leur chef Pierre Poilievre refuse les étiquettes de gauche et de droite. Il prétend parler au nom de la classe moyenne et veut bâtir une coalition d’électeurs en misant à la fois sur les conservateurs fiscaux et sur l’électorat plus col bleu des banlieues et des régions rurales. Il chasse même en terre néo-démocrate.

Pour les progressistes, c’est une hérésie. Ils ne comprennent pas comment une personne ayant un revenu modeste peut appuyer un parti qui finance peu les programmes sociaux. On se demande si les citoyens sont mal informés. S’ils montrent leur rejet des élites intellectuelles ou bureaucratiques qui profitent de cet État interventionniste. Ou encore, s’ils sont motivés par un discours identitaire – ce qui ne s’applique pas au Canada, où le multiculturalisme est célébré par tous les partis fédéralistes.

PHOTO ADRIAN WYLD, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Chrystia Freeland, ministre des finances du Canada

À droite, on se moque de ces théories. Des électeurs peu nantis peuvent en toute lucidité préférer les conservateurs. Ils tolèrent les inégalités, car ils croient qu’elles récompensent l’effort et espèrent que ce sera un jour à leur tour. Ils peuvent aussi défendre le respect des traditions et de la loi et l’ordre.

Pour faire le plein de cet électorat, M. Poilievre a surpris en appuyant le projet de loi anti-briseur de grève, présenté par les libéraux après des années à subir les pressions des bloquistes et des néo-démocrates.

Mais la hausse de l’impôt sur le gain en capital était trop pour le chef conservateur.

« Ah  ! Ha ! », crient les libéraux. À leurs yeux, M. Poilievre révélerait ainsi qu’il se fiche du sort du « monde ordinaire ». Il s’oppose à cette mesure qui ne toucherait que 0,13 % des contribuables par année.

En effet, le chef conservateur défend ici surtout les riches. Quoique la version complète est un peu plus compliquée…

La décision sur le gain en capital n’est pas tout à fait une surprise.

Avant de se lancer en politique, Mme Freeland dénonçait les inégalités dans un essai sur les « ploutocrates ».

À leur arrivée au pouvoir, les libéraux ont créé une allocation de revenu pour réduire la pauvreté chez les enfants et ont réduit l’impôt pour les revenus entre 45 000 et 90 000 $. En contrepartie, ils ont haussé l’impôt pour les revenus au-delà de 200 000 $.

L’idée d’imposer davantage le gain en capital circule depuis longtemps à Ottawa. Mais dans le dernier budget, elle a fait une apparition surprise. Cela ressemblait plus à une manœuvre de dernière minute.

Mme Freeland cherchait des revenus pour respecter sa promesse de maintenir le déficit sous les 40 milliards.

Le taux d’inclusion du capital revient ainsi au niveau observé entre 1987 et 2000. Mais à l’époque, on avait donné un préavis aux contribuables. Même chose pour la précédente réforme en 1972. Cette fois, la démarche soudaine n’a pas donné le temps aux contribuables et aux entreprises de s’ajuster.

Ce qui nous ramène à la déclaration de la ministre des Finances. Si son plan budgétaire tient à cette mesure, cela prouve qu’elle était incapable de financer les concessions faites au NPD pour se garder au pouvoir, comme la première étape vers un régime national public d’assurance médicaments imposé aux provinces.

Avec cette hausse de l’impôt sur le gain en capital, elle prévoit d’engranger 19 milliards, sur cinq ans. Les entreprises en paieront un peu plus de la moitié (10,6 milliards). Mais un répit fiscal a été offert aux petits entrepreneurs.

Mme Freeland rappelle que 0,13 % seulement des contribuables seront touchés. En fait, c’est un pourcentage annuel. Davantage de gens seront touchés durant leur vie – on ne vend habituellement qu’une fois un actif comme un triplex.

Cela dit, l’impact sur la classe moyenne a été exagéré. Prenons l’exemple d’un couple dont la retraite dépend de son triplex. Il occupe un étage de son triplex. S’il l’a acheté et le revend 1 million, il ne sera pas touché par la hausse ⁠1.

Plusieurs experts se sont montrés d’accord avec la réduction du privilège consenti au gain en capital ⁠2.

D’ailleurs, M. Poilievre ne promet pas de l’éliminer… Puisqu’il s’engage à équilibrer le budget, il pourrait avoir besoin de ce revenu.

Toutefois, un gouvernement conservateur mettrait sur pied un comité pour réviser la fiscalité. En principe, l’idée est bonne. Un ménage doit de manière routinière être fait dans les mesures fiscales, surtout celles qui engraissent les grandes entreprises sans améliorer leur productivité.

Mais dans cet exercice, M. Poilievre devra dévoiler sa vision. Qui voudra-t-il avantager ? Son « gros bon sens » devra bientôt révéler ses vraies couleurs.

Le gain en capital en bref

Gain en capital est le profit empoché par une société ou un citoyen lors de la vente d’un actif (action en bourse, immeuble à revenus, chalet, etc.). La résidence principale n’est pas touchée.

À l’heure actuelle, on paie seulement de l’impôt sur la moitié de ce profit. La grille habituelle d’imposition s’applique. L’autre moitié n’est pas imposable. Le profit est donc exempté à 50 % de l’impôt.

Par exemple, si vous achetez un chalet 300 000 $ et que vous le revendez 500 000 $, votre profit est de 200 000 $. Vous êtes seulement imposé sur la moitié de ce profit, 100 000 $.

C’est un généreux avantage. Cette exemption était censée valoriser la prise de risque et protéger les contribuables de l’inflation. Elle servait aussi de substitut à l’impôt sur la succession après un décès.
À partir de la semaine prochaine, le fédéral haussera le taux d’inclusion. Pour un profit entre 1 $ et 250 000 $, rien ne change. Pour un profit au-delà de 250 000 $, l’impôt sera payé sur 66,67 % de la somme.

En d’autres mots, le privilège demeure, mais il diminue.

1. L’exemple est emprunté à Luc Godbout, titulaire de la Chaire de recherche en fiscalité et finances publiques, Université de Sherbrooke.

2. Lisez le texte « Repenser l’imposition du gain en capital »