Pour un premier ministre, la décision la plus difficile est de savoir quand partir. Elle est moins déchirante quand l’entourage fait comprendre que le temps est venu. Mais Justin Trudeau n’a pas ce secours. Et aucun dauphin évident dans son caucus n’est là pour lui souffler dans le cou.

Alors que commence ce qui sera sans doute le dernier été de son mandat, il goûte maintenant à toute la solitude du pouvoir.

Partir ou rester ? Tous les signaux montrent que Trudeau veut livrer une dernière bataille. Prisonnier de son personnage médiatique, il savoure presque son statut de négligé qui lui a souvent permis de surprendre.

L’année dernière, toutefois, on se demandait si son boulot l’intéressait encore. Son gouvernement paraissait en panne d’idées.

Mais depuis le début de l’hiver, il a eu un sursaut d’énergie. Après avoir prétendu que la crise du logement relevait d’abord des provinces et des municipalités, il est passé à la vitesse supérieure.

Il a aussi, du bout des lèvres, reconnu que le niveau record d’immigration dépassait la capacité d’accueil – un constat repris aussi pour la première fois par plusieurs médias canadiens-anglais favorables au multiculturalisme.

Dans un effeuillage aussi impressionnant qu’interminable, il a dévoilé pendant deux semaines des mesures de son budget visant à soulager ceux qui souffrent du coût de la vie.

Après une gestion catastrophique du dossier de l’ingérence étrangère l’année dernière, il a calmé la tempête en cédant à la demande des partis de l’opposition de créer une commission d’enquête.

Malgré tout, les sondages sont obstinément stables. Pierre Poilievre trône avec une avance de 20 points de pourcentage.

M. Trudeau doit se demander ce qu’il peut faire de plus.

Les libéraux s’accrochent à de fragiles espoirs.

Selon un sondage Nanos, à peine 42 % des Canadiens croient que M. Poilievre a les qualités requises pour être un bon leader politique. M. Trudeau obtient le même résultat.

Un peu comme les démocrates aux États-Unis, les libéraux peinent à concevoir que la population puisse voter pour leur adversaire. Ils attendent sa prochaine déclaration outrancière. Ils espèrent que la population finira par comprendre le risque de lui confier le pouvoir.

Sauf que ce sentiment d’incarner le bien est peut-être finalement la source du problème. Quand on est trop convaincu d’avoir raison, on cesse d’écouter.

« Dans quel genre de pays voulons-nous vivre ? », demande Justin Trudeau, en mettant en garde contre le virage à droite que préparerait Pierre Poilievre. Mais le chef conservateur répond par une autre question : « Voulez-vous continuer de vivre dans un pays dirigé par cet homme ? »

Le chef conservateur retarde autant que possible le dévoilement de ses engagements. Il mise sur l’usure des libéraux. Son but : faire de la campagne électorale un référendum sur les années Trudeau pour fédérer les insatisfaits.

Il a attendu plus d’un mois avant d’annoncer son opposition prévisible à la hausse de l’impôt sur le gain en capital. Même pour un sujet aussi banal que le télétravail des fonctionnaires, il a joué de prudence.

Il répète, avec raison, que la productivité canadienne a été très décevante sous les libéraux. En martelant ce discours, il offre un contraste avec M. Trudeau, qui paraît peu s’intéresser à ce sujet.

En parlant d’abord d’économie, il unit la vaste coalition conservatrice autour du sujet le plus rassembleur. Et le ciment prend d’autant plus que M. Poilievre a été élu chef avec 68 %. Ce parti, c’est désormais le sien.

Il s’engage à former un groupe de travail pour réformer la fiscalité. Moins d’impôt pour les travailleurs et les entrepreneurs innovants, et moins de subventions coûteuses aux grosses entreprises, promet-il. Mais pourquoi ne pas lancer maintenant cette réflexion et dévoiler ses idées à la prochaine campagne ? Après tout, il aurait le temps…

Mais sa stratégie est claire, et elle fonctionne. Comme M. Trudeau en 2015, il attend à la dernière minute avant de s’engager.

Si la tendance se poursuit, quand il dévoilera sa plateforme à l’aube de la prochaine campagne électorale, son avance pourrait être insurmontable.

Le Bloc a connu une excellente session. Elle passe plutôt inaperçue parce que le parti était déjà en position de force au Québec.

En janvier, le chef Yves-François Blanchet a donné un mot d’ordre à ses troupes : soyons les « adultes dans la pièce ». Pour se démarquer du Parti conservateur, le Bloc évite l’hyperpartisanerie. Il critique, mais propose aussi.

Malgré son statut de deuxième parti d’opposition, il a réussi à faire avancer plusieurs projets de loi, notamment pour bonifier les prestations aux aînés, protéger les lanceurs d’alerte et empêcher les concessions à la gestion de l’offre lors de négociations d’accords commerciaux.

Cela contribue à la domination des bloquistes dans les sondages au Québec.

Les néo-démocrates n’ont pas ce bonheur. Leur alliance avec les libéraux leur a aussi permis d’encaisser des gains, comme le régime d’assurance dentaire ou le premier jalon d’un programme national d’assurance médicaments.

Cela ne les rend toutefois pas plus populaires. Au contraire, ils sont associés à l’impopularité de M. Trudeau. Et leurs critiques des libéraux perdent de leur effet. Si ce gouvernement est si mauvais, se disent des électeurs, pourquoi le maintenez-vous au pouvoir ?

Pour Jagmeet Singh, la prochaine campagne électorale pourrait être sa troisième et dernière chance. Comme M. Trudeau, le temps lui manquera pour montrer qu’il est plus une solution qu’un problème. Et le 24 juin, l’élection partielle dans Toronto–St Paul’s pourrait leur donner un avant-goût de l’avenir qui les attend.