Mon titre est échevelé, j’en conviens, mais suivez-moi quelques instants. Ça s’en va quelque part, promis. Ce sera même brûlant d’actualité.

À l’heure où vous lisez ces lignes, une bonne partie du Québec est frappée par la canicule. La température ressentie dépassera 40 pendant deux jours encore. Ceux qui n’ont pas accès à une piscine ou à un climatiseur n’ont pas fini de suer.

Cette vague de chaleur est dite « hâtive », mais pas tant que ça. La mi-juin est déjà derrière nous. L’été est à nos portes. Pas de surprise ici.

Pourtant, les deux tiers des piscines publiques n’ont toujours pas démarré leurs activités à Montréal, a-t-on appris cette semaine. À peine 25 sur 70 sont ouvertes.

Plusieurs autres villes du Québec tardent aussi à ouvrir les leurs. Dans bien des cas, cela n’ira pas avant la Saint-Jean-Baptiste, dans plusieurs jours.

Pourquoi attendre aussi longtemps ?

Il y a l’argument classique : les sauveteurs, souvent des ados du secondaire, n’ont pas fini leur année scolaire. C’est vrai, quoiqu’il y a des nuances.

La deuxième raison invoquée, soit la « pénurie » de sauveteurs, tient de moins en moins la route. En fait, cette excuse ne pourra bientôt plus être utilisée pour justifier l’ouverture tardive des piscines publiques.

Une mesure discrète, annoncée à l’été 2022 par la ministre responsable du Sport, Isabelle Charest, a changé la donne du tout au tout.

Avant cette date, les aspirants sauveteurs devaient payer de leur poche leur formation de 40 heures, entre 1000 $ et 1500 $, pour obtenir leur certification. Un frein évident pour plusieurs.

La subvention annoncée par Québec – 21,5 millions de dollars sur cinq ans – a permis de rendre ces formations gratuites. L’effet a été phénoménal, et instantané.

« En termes de gens qui s’inscrivent, on est passés du simple au double », m’a expliqué Raynald Hawkins, directeur général de la Société de sauvetage, un organisme qui encadre la formation des sauveteurs.

La dernière fois où j’ai eu autant de gens dans ma base de données, c’était quand Baywatch jouait à la télé, dans les années 1990. Vous voyez l’impact que ça a eu.

Raynald Hawkins

PHOTO FOURNIE PAR FREMANTLE PRODUCTIONS

De gauche à droite : Pamela Anderson, Jason Simmons, Alexandra Paul, David Hasselhoff, Gena Lee Nolan, David Chokachi et Yasmine Bleeth, de la distribution de la série télévisée Baywatch

Les chiffres parlent d’eux-mêmes.

Le nombre de gens qualifiés pour être surveillant-sauveteur ou assistant-surveillant-sauveteur est passé de 16 118 en 2021, au creux de la vague, à 19 954 aujourd’hui.

Presque 4000 personnes supplémentaires à l’échelle du Québec, en moins de trois ans. Énorme.

La hausse est aussi remarquable dans l’île de Montréal, où le manque de sauveteurs est souvent montré du doigt. Leur nombre a bondi de 5200 à 6400 depuis trois ans. Un gain de 1200.

Si la pénurie n’est pas tout à fait résorbée, ça s’en vient très bientôt.

Raynald Hawkins s’attend à voir un « effet domino » d’ici un an ou deux. Une grosse cohorte de jeunes de 13 et 14 ans, qui ont récemment suivi leur formation, atteindront l’âge requis pour pouvoir travailler en piscine, soit 15 ans.

Un nombre important de préretraités et de jeunes retraités ont aussi obtenu leur certification ces derniers temps, m’a appris M. Hawkins. Ils ont été séduits par la gratuité des cours et par la possibilité de travailler à temps partiel dans un milieu actif.

Autre élément non négligeable de l’équation : le marché de l’emploi chez les jeunes n’a plus rien à voir avec ce qu’il était pendant la pandémie. Plusieurs ados peinent maintenant à trouver des emplois d’été1.

Les postes de sauveteurs à temps partiel, sous le soleil estival, deviennent soudain plus alléchants.

Ce qui me ramène aux horaires d’ouverture des piscines publiques. Je vais me concentrer sur le cas de Montréal, puisque c’est ici qu’il y a le plus de densité de population, le plus de pauvreté, et les plus grands besoins pour des bassins accessibles aussi longtemps que possible.

L’administration de Valérie Plante a fait de l’adaptation aux changements climatiques l’une de ses priorités. Elle a mis en place toutes sortes de mesures, comme des parcs ou trottoirs « éponge ».

Mais une autre réalité est aussi devenue indéniable : les grandes chaleurs commencent plus tôt au printemps et durent bien au-delà de la rentrée scolaire. Les horaires d’ouverture des piscines devraient être adaptés en conséquence.

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

Quelques dizaines de personnes attendaient l’ouverture de la piscine Laurier, mardi midi.

On parle ici d’un service de base. Souvent le seul rafraîchissement disponible pour des centaines de milliers de Montréalais qui suffoquent dans leurs petits appartements.

Comme dans bien d’autres dossiers montréalais, ce n’est pas simple. Ce sont les arrondissements qui décident du moment de l’ouverture des piscines. Certains sont rapides, comme Rivière-des-Prairies–Pointe-aux-Trembles, où le bassin du parc Hans-Selye a démarré ses activités, tenez-vous bien, le 25 mai dernier.

Pour arriver à entamer la saison aussi tôt, l’arrondissement a entre autres misé sur un lancement graduel. La piscine a d’abord été exploitée seulement les soirs et les fins de semaine.

Ce genre d’aménagement mériterait d’être étendu à la grandeur de l’île de Montréal, selon moi. Il ne semble toutefois y avoir aucun plan de la ville-centre pour prolonger tous azimuts la saison d’ouverture des piscines publiques.

La Ville reste « très tributaire de l’enjeu des ressources humaines », m’a dit mardi Caroline Bourgeois, responsable des sports au comité exécutif. Montréal a du mal à concurrencer les salaires offerts par le secteur privé, a-t-elle ajouté.

Aux dernières nouvelles, la Ville avait réussi à pourvoir 332 des 357 postes de sauveteur qu’elle a affichés pour l’été 2024.

Dans la mesure où il y a plus de 6000 surveillants certifiés dans l’île de Montréal, ces difficultés de recrutement laissent songeur. Elles soulèvent aussi des questions sur la volonté – ou la capacité – de la Ville d’adapter concrètement un volet important de son offre de services aux changements climatiques.

1. Lisez la chronique de Marie-Eve Fournier : « Les jeunes devront apprendre à vendre leur salade »